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Reviewed by:
  • Portrait De La Jeune Fille En Feu by Céline Sciamma
  • François Massonnat
Sciamma, Céline, réal. Portrait de la jeune fille en feu. Int. Noémie Merlan, Adèle Haenel, Luàna Bajrami, Valeria Golino. Lilies, 2019.

Les premières images montrent des mains qui entament le dessin d'une silhouette sur une feuille blanche. Une voix hors champ accompagne le crissement du fusain et donne des indications aux jeunes dessinatrices qui apparaissent alors une à une en gros plan, face à la caméra. Cette voix, c'est celle de Marianne (Noémie Merlant), leur professeur qui pose pour elles. En ces quelques plans d'ouverture, Céline Sciamma invite le spectateur à s'interroger sur le lien paradoxal qu'entretiennent l'artiste et son modèle en déconstruisant le rapport de pouvoir entre celles qui peignent et celle qui est peinte. Si Marianne se comporte ainsi, c'est qu'elle a été mise à bonne école, comme le montre le long flashback qui constitue l'immense majorité du film. Embauchée quelques années plus tôt par la mère d'Héloïse (Valeria Golino) pour peindre le portrait de sa fille (Adèle Haenel), Marianne s'est trouvée aux prises avec un modèle qui lui résistait. Devant d'abord la peindre à son insu sous couvert d'un rôle de demoiselle de compagnie, Marianne est finalement démasquée mais obtient d'Héloïse qu'elle se laisse peindre. De leur rapport tendu naîtra une amitié puis une idylle à la fois brève et éternelle, forcément impossible, sous le regard complice de Sophie, la servante (Luàna Bajrami). L'habileté du scénario de Sciamma qui délaisse pour la première fois les mondes de l'enfance et de l'adolescence contemporaines pour s'intéresser à des jeunes femmes au dix-huitième siècle, tient dans l'isolement complet de ses personnages féminins. Celles-ci vivent sur une île aux allures de gynécée, en même temps que pèse sur elles l'imminent et inévitable retour à la norme patriarcale. Une fois son portrait achevé, Marianne devra en effet repartir, et une fois le tableau offert à son futur mari, Héloïse s'en ira épouser celui-ci à Milan. Sciamma prend le parti de profiter de la brève liberté qu'elle concède à ses personnages pour filmer la condition féminine dans ce qu'elle a de plus intime tout en brodant autour du mythe d'Orphée et Eurydice. Filmées avec économie et élégance, les discussions pendant les promenades au bord de la mer, les crampes prémenstruelles, la lecture d'Ovide, la grossesse involontaire et l'avortement de Sophie, les parties de cartes et les longues séances de peinture donnent à voir la naissance d'une complicité féminine au gré de [End Page 211] plans inspirés de tableaux du dix-huitième aux couleurs resplendissantes. Sobre et volontairement esthétisant, le film ne souffre cependant jamais d'un quelconque hiératisme ni de pédanterie, tant il est traversé de sentiments d'une bouleversante puissance servie par le jeu tout en retenue des actrices. Portrait de la jeune fille en feu prolonge et approfondit ainsi l'œuvre résolument féministe de Sciamma.

François Massonnat
Villanova University (PA)
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