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Reviewed by:
  • L'intraitable chagrin de la bourgeoisie by Pierre Sérisier
  • Nathalie Degroult
Sérisier, Pierre. L'intraitable chagrin de la bourgeoisie. L'Aube, 2019. ISBN 978-2-8159-3417-6. Pp. 392.

Pour son sixième roman, le journaliste Pierre Sérisier nous propose une chronique sociale pertinente et corrosive. Jacques Lambert, notaire à Rouen, âgé de soixante-dix ans, meurt en dégustant pour la dernière fois un repas d'huîtres à la brasserie "Le Grand Veneur". Sa veuve Philomène, une bourgeoise kleptomane qui a "troqué [sa] liberté contre la sécurité matérielle" (58), jubile à l'idée que Jean-Baptiste, son fils aîné capricieux, hérite du cabinet notarial. Gardienne des valeurs patriarcales, Philomène a négligé ses deux autres enfants, Gilles, le généalogiste efficace et Claire, la cadette trentenaire. C'est pourtant à leur fille que Jacques a légué l'étude. Cette réalité provoque une discorde familiale dont Claire est la cible privilégiée: "Hériter, c'est affronter la violence. Celle de son chagrin. Et celle du chagrin des autres. Leur jalousie aussi" (104). La convoitise se manifeste également chez Michel, l'associé de Jacques atteint "du complexe de l'exclu qui n'appartient qu'à son ambition" (128). Michel possède le profil d'un parvenu qui a choisi le droit, car "cela reste un moyen facile de se faire du fric. C'est l'un des derniers escaliers de l'ascension sociale" (41). La force du roman réside dans son analyse intelligente des divisions sociales fondées sur l'incompréhension ou l'indifférence de l'autre: "Les classes sociales ne se croisent pas. Parfois, elles se frôlent, mais la plupart du temps, elles s'ignorent ou elles s'observent de loin" (326). L'auteur brosse le portrait d'une bourgeoisie patriarcale cruelle, avide d'argent et de pouvoir, dont le comportement sanguinaire choque parfois. Sérisier, expert en séries télévisées, qu'il décrypte dans son blog "Le monde des séries", injecte des références de séries américaines (Game of Thrones, Shameless, Six Feet Under), [End Page 268] dénonce la propagation de la bêtise sur les réseaux sociaux et critique l'impact néfaste de la télé-réalité. Son roman fait aussi penser aux films de Chabrol, car il expose virulemment les mœurs de la bourgeoisie de province et ses déshonneurs cachés sous une respectabilité de façade. Ainsi, Emma Saint-Soens, amie de la famille Lambert et propriétaire d'une immense fortune, gère d'une main de fer l'empire hérité de son père. Elle méprise ouvertement son mari, Henri Langlois, "un gigolo à pompes bicolore rencontré dans un rallye" (100) avec qui elle a eu un fils qu'elle ignore. Son grand regret, un secret honteux dans son milieu social, est d'avoir abandonné cinquante ans plus tôt l'enfant dont elle avait accouché sous X. Bien que prévisibles, les retrouvailles d'Emma et de sa fille Monique permettent à l'auteur de juxtaposer deux mondes disparates. Les portraits des petites gens sont par ailleurs les plus intéressants: Samira, femme de ménage à l'étude, s'inquiète de la marginalisation de son fils déscolarisé; Hubert, un portier, dénonce l'obsession contemporaine de l'argent et l'amoralité du gouvernement; Frédéric, un abonné aux emplois précaires, "est le premier dans la famille dont le niveau social est inférieur à celui de ses parents" (217). Malgré un nombre excessif de personnages et une intrigue parfois exagérée, L'intraitable chagrin réussit à exposer les clivages sociaux de la France contemporaine.

Nathalie Degroult
Siena College (NY)
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