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  • Les Incas, ou la destruction de l'Empire du Pérou par de Jean-François Marmontel
  • Luciano Pellegrini (bio)
Les Incas, ou la destruction de l'Empire du Pérou, de Jean-François Marmontel, éd. Pierino Gallo
Société des Textes Français Modernes; Garnier, 2016. 629pp. €40. ISBN 978-2-86503-304-1.

Il a fallu plus d'un siècle pour qu'une nouvelle édition de Les Incas (1777) de Jean-François Marmontel (1723–99) soit publiée. Elle a paru en 2016 chez la Société des Textes Français Modernes, grâce au travail de Pierino Gallo. Il ne s'agit pas d'une simple réimpression, mais d'une édition critique qui est destinée au grand public ainsi qu'aux spécialistes.

Les Incas raconte un moment de la conquista. Utilisant les connaissances sur le sujet accumulées au fil des années et de très nombreuses lectures, Marmontel trace une fresque épique de la conquête du Pérou par Pizarro et ses compagnons. Non pour en faire l'apologie, mais pour en souligner la violence et montrer la fin monitoire de l'empire du « peuple le plus humain de l'univers » (398). Dans cette épopée philosophique, la barbarie des civilisés, cautionnée par la religion, s'oppose à la civilisation de l'homme de la nature ainsi qu'à l'action isolée d'hommes vertueux, tel Bartolomé de Las Casas, un des héros de ce roman, qui poursuivent [End Page 228] une rencontre humaine entre européens et indigènes. Au reste, l'intention de Marmontel—dont le Bélisaire, en 1767, avait subi la censure de la Sorbonne pour son chapitre XV sur la tolérance des cultes—est bien affichée dans la préface: c'est un plaidoyer contre le fanatisme religieux, compris comme « l'esprit d'intolérance et de persécution, l'esprit de haine et de vengeance, pour la cause d'un Dieu que l'on croit irrité, et dont on se fait les Ministres » (92). Le déplacement géographique et historique devait en effet accroître l'efficacité de l'ouvrage destiné à conseiller les rois. Le disciple de Voltaire dédie son ouvrage au roi éclairé Gustave III de Suède; rappelons également qu'en 1777, quand paraissent les Incas, la question de la conduite à venir du royaume de France était encore plus brûlante, suite à la montée, récente, de Louis XVI sur le trône. Un des paris du philosophe consiste à sauver la religion chrétienne par le biais de la legenda negra. C'est ainsi que dans le roman, les représentants du fanatisme catholique, comme le prêtre Valverde, s'opposent à un christianisme proche d'une religion naturelle et donc à ces « vrais Chrétiens » (97) qui, comme Las Casas, voient leur mission dans l'évangélisation des « Sauvages » dont la bonté naturelle demeure imparfaite car sans révélation. Mais Les Incas ne se limite pas à l'exposition d'une thèse. Le personnage de Pizarro, par exemple, est extrêmement ambigu. Sensible au discours de Las Casas, il est tout de même ballotté par les événements (et par son ambition?): il demeure responsable, sans vraiment les partager, des atrocités commises par ses hommes. Un autre exemple peut être celui du vertueux Alonzo de Molina. On a pu remarquer la présence d'attitudes de domination coloniale dans son amour pour l'indigène Cora. Ces ambiguïtés bien réelles sont toutefois indissociables de l'engagement philosophique des Incas. Elles touchent même au projet de tolérance universelle porté par Marmontel et contribuent en grande partie à la qualité littéraire d'un roman qui eut un succès long plus d'un siècle. Marmontel put se plaindre du modeste succès des Incas. En vérité, il a été réédité sans cesse et bien au-delà de la vie de son auteur. Il fut rapidement traduit en allemand, anglais, néerlandais, italien, russe, suédois, espagnol. On compte environ cent quatre-vingt éditions en un siècle.

Cette nouvelle édition met donc fin...

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