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  • Rupture ou continuité entre L’Aventure ambiguë et Les Gardiens du temple? Allocution au congrès du ciéf, le 24 mai 2016
  • Cheikh Hamidou Kane

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les membres du ciéf réunis à Saly Portudal à l’occasion du trentième Congrès de votre organisation, permettez à l’écrivain sénégalais que je suis de vous souhaiter la plus chaleureuse bienvenue au pays de la “Teranga,” c’est-à-dire le “Pays du Bon Accueil,” ce Finistère où, au long des siècles, se sont rencontrés, mêlés, Noirs venus des profondeurs occidentales du continent ainsi que de ses forêts tropicales, Arabes venus du désert saharien jusqu’aux rives du fleuve éponyme, et les hommes blancs occidentaux débarqués de leurs caravelles. Vous êtes au Pays du partage des valeurs, le Pays, dit Léopold Sédar Senghor, de “l’accord conciliant.”

Mesdames, Messieurs, permettez-moi encore de vous exprimer ma profonde gratitude pour avoir choisi l’occasion de la tenue de son congrès dans mon pays pour m’y remettre le prix que décerne votre organisation.

Occasion ne pouvait être plus propice pour me permettre de tenter de répondre à des questions que j’ai entendues dès que fut publiée, trente ans après L’Aventure ambiguë, ma deuxième œuvre, intitulée Les Gardiens du temple. Quand et dans quelles circonstances ai-je écrit ce livre? Quels liens, s’il en est, existe-t-il entre ces deux œuvres? Ayant, à l’âge de soixante-huit ans, évité de justesse de demeurer l’homme d’un seul livre, me déciderai-je à continuer d’écrire et de publier? Ces interrogations, à la vérité, soulèvent la question des rapports qui existent, dans ma vie, entre mon destin individuel, les événements marquants de l’histoire du continent noir, et l’écriture.

J’avais pratiquement fini d’écrire l’essentiel de L’Aventure ambiguë (il est vrai, sous la forme d’un simple journal), vers le milieu des années cinquante. Pourtant, ce livre n’a été publié, après sa rapide mise dans la forme qu’on lui connaît, qu’en 1961. La première mouture — le journal — a donc été écrite dans la période de mes études universitaires qui se sont déroulées, entre Dakar et Paris, de 1952 à 1958. Je suis rentré de France au Sénégal en 1958 et j’y ai aussitôt entamé une carrière administrative et politique, dans une période charnière de l’histoire des colonies fran-çaises d’Afrique Occidentale, puisque nous avions accédé à une large autonomie interne et que nous étions à la veille d’accéder à l’Indépendance, c’est-à-dire de retrouver la liberté de nous gouverner nous-mêmes, après une longue période de sujétion coloniale. [End Page 7]

On peut considérer que L’Aventure ambiguë résume et explique l’enseignement et la réflexion que j’ai déduits de ce véritable “parcours initiatique” qu’a été mon éducation à la croisée des civilisations africaine, islamique et européenne. Ce parcours n’avait rien de banal et on peut comprendre aisément, d’une part qu’il ait suscité une activité de réflexion après coup, d’autre part, que sa description ait trouvé un écho si profond chez tous les protagonistes appartenant à ces trois univers. J’ai écrit L’Aventure ambiguë après avoir achevé avec succès le parcours du combattant que décrit ce livre. Je l’ai publié à la veille d’entreprendre un autre parcours qui pouvait se révéler aussi problématique, même si les périls encourus devaient être d’une gravité moindre.

Nous nous trouvons en présence d’un processus similaire, en ce qui concerne Les Gardiens du temple. On voit se succéder une expérience historique vécue par moimême pendant une décennie (1958–1968), et sa description sous la forme d’un roman où se mêlent fiction et réalité. Entre 1958 et fin 1960, j’ai participé, aux côt...

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