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  • Crise de plume et souveraineté du pinceau. Écrire la peinture de Diderot à Proust by Nicolas Valazza
  • Loïse Lelevé (bio)
Nicolas Valazza. Crise de plume et souveraineté du pinceau. Écrire la peinture de Diderot à Proust. Paris: Classiques Garnier, coll. « Études romantiques et dix-neuviémistes », 2013. 357 pages. ISBN 978-2-8124-0863-2

C’est par un double exergue que s’ouvre l’ouvrage que Nicolas Valazza a tiré de sa thèse de doctorat soutenue à l’université Johns Hopkins : par une citation de George Bataille, d’abord, sur un « art que ne guide plus l’autorité », et par un passage de la Crise de vers de Stéphane Mallarmé, à qui, tout absent qu’il soit de son corpus d’étude, il rend hommage dans son titre et dont il reprend le diagnostic d’une « exquise crise » de la littérature, pour en faire une « crise de plume ». On perçoit dès lors toute l’originalité de son étude qui consiste à mettre en valeur l’interdépendance de ces deux mouvements qui marquèrent la littérature du long dix-neuvième siècle qui intéresse N. Valazza : l’émancipation de la peinture des divers discours d’autorité mis en place depuis la Renaissance et ce qu’il appelle « un régime critique de l’écriture », à travers lequel les écrivains se voient contraints d’interroger leur propre pratique devant l’affirmation de ce qu’ils en viennent à percevoir comme une peinture souveraine. Car ce n’est ni à l’histoire de l’autonomisation du champ pictural, ni à une analyse diachronique de la constitution d’un discours critique sur la peinture, que prétend l’auteur. Les termes de « souveraineté » et de « plume » sont loin d’être contingents : ils indiquent dès le seuil de l’ouvrage que ce dont il s’agit, profondément, c’est de la confrontation des écrivains à une peinture dont ils s’aperçoivent qu’elle est devenue irréductible au discours, qu’elle échappe à toute tentative de mise en mot. C’est ainsi la faillite d’une approche théorique classique de l’art, fondée sur l’ut pictura poesis, qui provoque la nécessité de l’instauration d’un régime critique de l’écriture, pour « combler la faille sémantique creusée par le coup de pinceau », sans nier « l’altérité fondamentale du geste du peintre » (13). À partir de Chardin, la peinture ne peut plus être appréhendée selon les catégories hiérarchiques traditionnelles: entre sujétion et fascination, les huit [End Page 1070] écrivains étudiés par l’auteur, tous également critiques d’art – Diderot, Balzac, Baudelaire, les Goncourt, Zola, Huysmans, Proust –, doivent réinterroger les modalités et les formes de leur propre écriture. Ce qui ne se fait pas sans tensions : à l’opposé de la tendance de nombreux critiques à voir dans la littérature du XIXe siècle la supplantation de la théorie des « arts sœurs » par l’alliance fraternelle entre l’écrivain et le peintre, N. Valazza souhaite, lui, étudier les frictions entre les deux. Le critique s’efforce donc de traquer les symptômes de cette crise dans les œuvres des écrivains, mais aussi d’en retracer les causes et l’évolution dans le parcours littéraire de chacun d’eux, depuis son instauration à travers le rapport fasciné de Diderot aux natures mortes de Chardin à sa dissolution devant la souveraineté de la métaphore proustienne. Entre les deux, si une progression se dessine bel et bien, et si ses contours sont, sous certains aspects, chronologiques, elle est pourtant loin d’être linéaire : de Diderot à Proust, chapitre par chapitre et auteur par auteur, tant la souveraineté du pinceau que la crise de plume auront été mises en cause aussi bien que reconnues, constatées ou outrepassées.

Le premier à se trouver confronté, dans sa tentative de descriptions des œuvres du Salon, à un besoin de renouvellement des concepts devant l’image, est Denis Diderot, réduit à la « stupéfaction », « l’admiration silencieuse » (34) devant l’œuvre de Chardin : le critique, qui n’a plus d’idées à débattre, ne peut que se taire devant un artiste chez...

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