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  • Poésie
  • Daniel Gagnon (bio)

La poésie de cette année nous réserve peu de surprises. On aurait préféré qu'elle soit en plus mauvais état, mais dans une langue fulgurante, au lieu de se montrer en ces variations et ces vieilleries du grenier de la maison. La plupart des recueils ne portent aucune indication précise quant à une nouvelle écriture. En guise de signature, presque rien de nouveau sous le soleil. On ne trouve guère que des reprises des mêmes choses peu prometteuses, comme si on s'obstinait à bloquer l'avenir.

Il ne manque, cependant, ni de recueils, ni de rétrospectives ou d'anthologies, mais dans la mesure ou les recueils foisonnent et se ressemblent, il n'est pas aisé de les retenir. On y appréciera l'atmosphère contemporaine, classique, mais la fenêtre bute trop souvent sur le mur aveugle de la cour. La publication dans bien des cas n'est pas justifiée par la prestation offerte. Les éditeurs semblent regarder passer les œuvres derrière un double vitrage. Ne sachant plus aller à la pêche dans la turbulence des cascades ou dans la sauvage beauté des sentiers inconnus, ils choisissent de sommeiller au bout de leur canne dans la quiétude du courant de leur baignoire.

Les œuvres profitent certes d'un appareillage professionnel qui ne craint ni le luxe des formes ni les matériaux nobles. La présentation des recueils est d'une grande pureté de style, l'espace et la lumière sont palpables. L'édition bénéficie des derniers équipements, les livres sont invitants. Les lecteurs de poésie amoureux des belles choses seront charmés. Trop soucieuse de fidéliser un important lectorat, la poésie est restée prudente [End Page 35] et réservée, simple et fonctionnelle, mais à la fin elle risque de nous ennuyer massivement.

Les Mêmes Frises Narcissiques

En ces années fanatiques qui persistent depuis les attaques contre les tours jumelles du World Trade Center le 11 septembre 2001, aucun chef-d'œuvre ne montre le chemin. Nous assistons plutôt à une conspiration du silence, c'est l'illusion de l'intimité, pas même le partage d'une cause absolue, c'est l'abandon, le repli. On sait bien parler de ses émois amoureux ou de ses problèmes gastriques, du petit univers aimable ou dégoûtant de sa chambre, mais le mobilier fait sur mesure offre un décor d'une lassante simplicité. Tout est bien rangé, bien étudié, pas de véritable apothéose. Tout est trop petit, les poèmes sont souvent très peu spacieux. Par ailleurs, on a sorti du placard des meubles qu'on a appointés sans les dépoussiérer pour l'historique de la ligue du vieux poêle. Certains aînés comme Pierre Nepveu, Michel Van Schendel, Louise Warren ou Fernand Ouellette, dont les rétrospectives et les anthologies représentent une longue période de travaux, accumulent toutes sortes d'éléments anciens que l'on a remontés en tête de page. La robinetterie et la ferronnerie ont perdu de leur rutilance, les teintes des cuirs des sièges et des tabourets se sont délavées. On se croirait parfois au presbytère de monsieur le curé ou dans un logis de chanoine.

Des œuvres résolument vouées à l'emportement, des poésies révoltées et sauvages, souveraines, surtout des poésies qui sauraient secouer la lourde apathie canadienne en ces temps bitumineux et harpériens, on en trouvera peu parmi ces voix discrètes, classiques, élégantes, impeccables qui s'inscrivent dans la foulée des aînés décadents. On retrouve dans les poèmes la même perpétuelle modernité, les mêmes frises narcissiques, les mêmes miroirs en abîme. Tout semble parfait, irréprochable, sympathique même, mais rien d'imprévisible ou d'inclassable ne survient, rien ne grince au royaume des vieux fossiles, rien en ces contrées n'est secoué par l'ange du bizarre. Tout est terriblement banal et sans grandeur, les poèmes...

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