Politiques territoriales : ce que les appels à projets font aux démarches de projet

Dans les discours des acteurs comme dans les analyses savantes, le projet s’est imposé comme un mot clé des politiques d’urbanisme, d’aménagement et de développement territorial contemporaines. Le succès du terme s’est accompagné d’un certain flou, le projet pouvant désigner une opération d’aménagement concrète, un dispositif de mobilisation des acteurs d’un territoire ou un ensemble d’instruments de management public utilisés pour piloter ces démarches (Pinson, 2011).

Le projet est donc un terme polysémique, désignant des pratiques de nature variable qu’on peut, en première approche, distinguer en fonction des échelles spatiales et temporelles auxquelles elles se rattachent (Arab, 2004). A l’échelle la plus micro, celle du projet architectural, il s’agit d’un processus de conception et de réalisation d’un bâtiment. Le projet s’inscrit alors dans un cadre juridique précis et un système d’acteurs relativement restreint, organisé pour l’essentiel autour du binôme maître-d’ouvrage/maître-d’œuvre, le premier commandant et finançant l’édifice, le second assurant la conception et la conduite opérationnelle des travaux. Aux échelles plus macro (agglomération, métropole ou région), la notion de projet renvoie aux exercices de prospective et de planification souple qui se sont multipliés depuis les années 1980 pour accompagner la structuration et la montée en puissance de ces niveaux de gouvernement. Ici, la notion de projet recouvre un ensemble de démarches portées par des collectivités ou des intercommunalités, en lien avec de multiples acteurs publics et privés, visant à organiser leur mobilisation collective et la mise en cohérence de leurs interventions sur un même territoire. Qu’il s’organise à l’échelle régionale, métropolitaine ou de l’agglomération, le projet de territoire a pour objet de définir une ambition pour celui-ci, autour d’orientations stratégiques de développement de long terme. Son élaboration s’appuie sur de longues démarches combinant phases de diagnostic, de réflexion collective et de négociations entre acteurs, pour aboutir à la formalisation d’un document combinant le plus souvent l’affirmation d’une identité territoriale spécifique, l’affichage d’objectifs en matière de développement économique, de qualité environnementale et de cohésion sociale, ainsi que la traduction de ces ambitions dans la figure spatiale désirée. Enfin, à mi-chemin entre projets architecturaux et projets de territoire, on trouve divers projets structurés à l’échelle du quartier ou de la commune (projet de quartier, projet urbain, grand projet de ville, etc.) qui articulent la vocation opérationnelle des premiers et la dimension stratégique des seconds, en fixant des objectifs de moyen terme de transformation concrète de l’organisation spatiale, des fonctions urbaines, du peuplement et du fonctionnement social des espaces visés.

On laissera ici de côté les projets architecturaux pour se concentrer sur ceux qui se déploient à des échelles plus vastes, qu’on qualifiera indifféremment de projets urbains ou de projets de territoire. Ces projets, qui se sont multipliés en France au cours des années 1980 et1990 dans le cadre des politiques contractuelles développées par l’Etat, constituent des prismes utiles pour décrire et analyser les transformations de l’action publique infra-nationale et des relations entre niveaux de gouvernement. Ils permettent, comme l’a montré Gilles Pinson (2009), de saisir le basculement de la gestion publique des territoires d’un modèle hiérarchisé d’administration étatique des affaires locales, dont la planification des Trente Glorieuses constituait une des déclinaisons les plus achevées, vers une forme de gouvernance territoriale pluraliste et horizontale au cours vingt dernières années du XX^e siècle. Après avoir présenté cette transformation de la gestion publique des territoires et des relations entre pouvoir central et périphérique, dont les projets territoriaux sont tout à la fois des indices et des...