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  • Crossing Geographic Borders:L'œuvre de Nicolas Bouvier
  • Mariliam Archetti

Le récit de voyage accomplit et manifeste ce double voyage qu'est toute lecture, il peut emporter avec lui ce trajet perpendiculaire, pour aboutir à un déplacement du lecteur, à le changer de lieu mental, finalement changer son lieu.

M. Butor, Le Voyage et l'écriture

Nicolas Bouvier est un voyageur. Il fonde son identité d'écrivain sur la recherche d'une perspective inédite du monde. Il participe ainsi à une mythologie du voyage, caractérisée par une priorité du visuel, sur l'écriture purement documentaire:

Voyager, écrire, photographier, chercher des images: ces quatre activités se succèdent selon la loi de l'offre et de la demande, et se complètent plutôt qu'elles se nuisent.

(Petite morale portative, 47)

Voyageur, écrivain "chercheur d'images", photographe. Bouvier choisit le mouvement comme méthode: il se déplace pour déterminer la différence, pour devenir et pour écrire. Nous essayerons de déterminer son parcours, par le biais de quelques constantes qui caractérisent son œuvre: la Suisse ou le paradoxe d'un voyage circulaire. Le regard sur une altérité qui permette de rejoindre les origines du moi et le rôle essentiel de la mémoire et de l'image comme code de connaissance.

1. "LA CLAUSTROPHOBIE ALPINE" (Routes et déroutes, 121)

Dans les Chroniques japonaises, Bouvier décrit la fête des fleurs à Tsukimura: [End Page 371]

Les villageois sont installés en cercles autour, mains tendues vers la flamme. Comme je passe à leur hauteur, un vieillard hurle "la Suisse... la Suisse", se levant à moitié comme s'il allait discourir, puis se rasseoit. J'ai entendu sa femme le reprendre:

–Crier ainsi, ça n'a ni queue ni tête. A présent que tu as commencé, dis-lui donc quelque chose.

Mais il en est resté là, fixant le foyer d'un air coupable.

(Chroniques japonaises, 200)

La Suisse apparaît comme un stéréotype vide. Le zèle et la rigueur morale, qui pourtant la définissent, perdent leur signification ainsi que cette "voix gourmée et didactique" (L'Usage du monde, 73), au "ton pastoral" qui, de Suisse, rejoint l'auteur à Prilep, en Macédoine.1 Bouvier souligne l'existence d'un malaise. C'est le malaise qu'éprouve tout voyageur qui se déplace à l'intérieur d'une langue, des zones périphériques de la province littéraire vers un centre idéal. Si l'écrivain situe son identité dans la langue et transforme la langue en patrie, il comprend pourtant l'exiguïté de son propre pays, et cela malgré le sentiment d'une inévitable nostalgie. Cette inquiétude est certes commune à la plupart des écrivains francophones. Dans le cas de Bouvier, elle coïncide avec le choix d'une vie ciblée sur le mouvement. Pour fuir "l'éducation huguenote" (Le Poisson-Scorpion, 39), l'auteur cherche l'écart du voyage. Un voyage qui ne doit pas être confondu avec une notion de vacance ou de tourisme, mais qui adhère tout simplement à l'esprit nomade: "On vient de nulle part en particulier, on ne va nulle part en particulier, on a tout son avoir avec soi, [. . .] et on ne laisse rien derrière soi lorsqu'on s'en va", écrivait Michel Butor sur l'errance du nomade (Le Voyage et l'écriture, 14). Le ressort du mouvement se situe dans le désir d'appréhender l'inconnu. Attiré par l'altérité, N. Bouvier abandonne ses "sourds cantons de belle herbe" (Le Poisson-Scorpion, 27). L'approche suppose une action totalement désintéressée:

Au coucher du soleil, la tête à rien, le cœur en fête, poussant du pied des trognons de maïs, respirant l'odeur de la ville comme s'il fallait mourir demain et cédant à ce pouvoir de dispersion si souvent fatal aux natifs du Poisson.

(Le Poisson-Scorpion, 44)

Tabritz, Teheran, Tokio ou Kioto sont, pour Bouvier, des lieux de passage. Ils se transformeront progressivement en un tissu culturel qu'il faut [End Page 372] protéger de l'oubli. "L...

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