Istanbul face aux regards: Visions, illusions, illuminations dans les arts et les récits des voyageurs français aux XIXème et XXéme siècles [sic], Théophile Gautier, Pierre Loti, Alain Robbe-Grillet (review)

"L'objectif de ce travail de recherche est de parvenir, à partir d'un arrangement des différentes perceptions, à déterminer l'identité d'Istanbul" (22). Nonobstant une formulation maladroite, le projet de Tijen Olcay est ambitieux et méritoire: ambitieux, tant ces lieux sont chargés de regards, méritoire pour avoir voulu faire sens dans un esprit interdisciplinaire des relations de trois voyageurs avec une ville qui ne cesse de nourrir la discussion des relations est-ouest.

Le premier tiers de l'ouvrage consiste en une série de chapitres introductifs dont le premier situe la réflexion dans le cadre des théories de la perception et de la communication, puis aborde les questions de la construction de l'identité culturelle dans ses rapports avec la représentation et les modes de compréhension de l'autre. Lui fait suite un survol de l'histoire d'Istanbul et des rencontres qui ont marqué ses représentations. Certaines des assertions qui jalonnent cette synthèse sont discutables. Peut-on ainsi stipuler que le récit de voyage se libère de toute idéologie au xix^e siècle (39)? Les contextes dans lesquels les trois auteurs concernés ont séjourné à Istanbul ainsi que leurs rapports à la ville sont alors présentés. Le chapitre suivant, "Les réalités de la perception - Les possibilités de l'image," propose que les travaux d'Edward Said sur l'orientalisme soient infléchis par les notions de subjectivité et de "liberté d'expression." La présentation des manifestations artistiques diverses de l'orientalisme dans les domaines de la peinture, de la photographie et du film s'appuie sur la reproduction de certaines œuvres (illustrations d'Amadeo Preziosi, calotypes d'Alfred Normand, photos de Félix Bonfils) et renvoie à un site internet où le reste de ce très riche corpus peut être consulté.

Le chapitre consacré à Théophile Gautier ("Gautier: une visite impressionniste à Istanbul") insiste sur la distance qui existe entre le voyageur et l'objet de ses descriptions. Le découpage thématique de Constantinople (1854) mène à la conclusion que pour Gautier l'extérieur domine, que ses écrits ne témoignent d'engagement ni politique ni culturel mais plutôt d'une "connaissance conventionnelle" (109). Si l'esthétique prime, l'écriture ne suffit pas à rendre compte de ses objets. Gautier a donc recours à un système de référence préexistant (voir ses nombreux renvois à la tradition picturale orientaliste). Dix tableaux d'Eugène Flandin, Fabius Brest, Théodore Frère, Hippolyte Berteaux et Théodore Gudin sont ensuite décrits pour établir un parallèle entre les descriptions verbales et picturales, et tenter ainsi d'identifier les "propriétés déterminantes" (115) d'Istanbul. C'est sur la notion de l'échec de Gautier que se conclut le chapitre.

"Loti: dessins de lumière d'Istanbul" rappelle les faiblesses perçues d'une écriture sentimentale sans volonté esthétique. À partir de réflexions sur l'autre inspirées de Todorov, Lévinas, Nietzsche, ou encore Fichte, cette lecture de Loti souligne une alternance entre rêve et réalité qui refuse l'appartenance ou l'intégration. Aziyadé (1879 ) est une "impression de ville" (150) fragmentée, imprécise et lexicalement pauvre, mais qui témoigne selon Olcay d'une liberté exprimée à travers le lyrisme. La dispersion et le mode d'écriture lacunaire font écho à la "nature d'Istanbul: une ville divisée [. . .], indéterminable, fuyante" (152). Quelques réflexions sur la photographie (l'objectif et le perceptif) précèdent l'analyse de huit stér...