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Mémoire des lieux: Reterritorialisation de l'espace colonial chez Marguerite Duras Philippe Barbé Genèse de l'imaginaire durasiatïque NÉE ET ÉDUQUÉE EN ASIE dans une famille française, Marguerite Duras a grandi entre deux langues, deux cultures, deux pays, deux continents. Comme elle le rappelle dans Les Lieux de Marguerite Duras, sa francité ne s'est jamais imposée dans l'évidence d'une identité transparente à elle-même1. Son enfance fut celle d'une Vietnamienne: elle parlait le vietnamien (langue dans laquelle elle passa son baccalauréat), elle s'habillait et mangeait comme une Vietnamienne, elle jouait avec des Vietnamiens . Ce n'est que plus tard, sous la contrainte de sa mère, que la jeune Marguerite Donnadieu apprit qu'elle était avant tout "française" et devait se comporter comme telle: En somme, un jour, j'ai appris que j'étais française... Vous êtes dans un milieu, dans un espace donné, vous êtes né dans le milieu, vous parlez le langage du milieu, etc. —les premiers jeux étaient des jeux d'enfants vietnamiens, avec des enfants vietnamiens—et puis on vous apprend que vous n'êtes pas vietnamien, et qu'il faut cesser de voir des petits Vietnamiens parce que c'est pas des Français et qu'il faut mettre des souliers, qu'il faut manger des steaks-frites et puis pas se conduire aussi mal, quoi. (60-61) Trop français pour être pleinement vietnamien mais aussi trop vietnamien pour être totalement français, l'imaginaire de Duras s'est construit dans un espace bifide à la croisée de deux imaginaires et de deux territoires: l'Indochine et la France. Tout au long de sa carrière, Marguerite Duras a consciencieusement construit son image publique d'écrivain autour de la figure mythique de "Marguerite -Duras-de-Saigon" au détriment de ce qu'Alain Vircondelet décrit comme la figure ensevelie mais non moins importante de "Nénée-de-Duras"2. On retrouve dans la courte notice biographique présentée dès 1943 en introduction de son premier roman Les Impudents cette primauté accordée à son identité indochinoise: On peut en effet y lire que "Marguerite Duras est née en Indochine où son père était professeur de mathématiques et sa mère institutrice . A part un bref séjour en France pendant son enfance, elle ne quitta Saigon qu'à l'âge de dix-huit ans"3. Reprise sans la moindre modification jusqu'à la mort de l'auteur en 1996, cette courte notice traduit parfaitement Vol. XLIII, No. 1 101 L'Esprit Créateur cette volonté de figer la biographie de Marguerite Duras dans l'expérience coloniale indochinoise qui pourtant prit fin lorsqu'elle avait dix-huit ans. On remarque aussi la volonté de minimiser l'importance de ces deux années passées en France dans le domaine du Platier acheté par le père en 1921 peu avant sa mort. Pourtant central, cet épisode est réduit à un anecdotique et "bref séjour en France". Comme le note fort judicieusement Alain Vircondelet, "l'importance que l'écrivain a accordée à l'enfance indochinoise a occulté les années passées dans le Lot-et-Garonne où pourtant beaucoup de sa vie future s'est fondée et dont les souvenirs résonneront à bas bruit jusqu'à ses derniers jours" (Vircondelet 10). Il est vrai que Marguerite Duras a tout fait pour détourner l'attention de ses lecteurs en minimisant l'importance de ces années 1922 et 1923 passées dans la propriété familiale située sur la commune de Pardaillan, près de Duras, dans le Lot-et-Garonne. Pour la grande majorité de ses lecteurs, comme le note Laure Adler, "la terre maternelle, le territoire d'origine, le véritable lieu d'enracinement de son être restera jusqu'à la fin de sa vie l'Indochine coloniale "4. Cet effacement, ou plutôt ce refoulement de son enfance française est tout particulièrement apparent dans les lectures postcoloniales de son œuvre qui fleurissent aujourd'hui dans les universités américaines"'. Si la grande majorité de ces analyses se concentrent...

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