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  • Science, industrie, innovation et société au XIXe siècle
  • Sophie Chauveau*

« L’abondance d’inventions est donc encore plus désirable que l’abondance de capitaux pour la société ; elle doit chercher à obtenir cette première base de la création des richesses, comme elle parvient à obtenir la seconde par les banques et les institutions de crédit. »1

Longtemps l’épanouissement des industries et la multiplication des innovations ont été présentés comme les attributs majeurs du XIXe siècle, à l’image de la conquête des libertés. Les découvertes scientifiques et les inventions ont nourri de nombreuses innovations constitutives des systèmes techniques aux origines mêmes de la croissance économique. La fascination pour la science et l’industrie et l’héroïsation des savants et des inventeurs marquent enfin l’adhésion des populations à ce nouveau monde.

Ces bouleversements peuvent se raconter de diverses manières. L’histoire économique et l’histoire des techniques ont largement renouvelé le paradigme de la révolution industrielle, faisant la part belle aux cheminements de l’innovation2 ou à l’essor des consommations3. Le changement industriel est au cœur de trop nombreux travaux pour qu’ils soient cités ici et qui ont fortement contribué à la construction de nos représentations de ce siècle. Pour autant, ces analyses n’ont rien de définitif. Elles peuvent être bousculées par le choix d’aborder autrement l’industrialisation du XIXe siècle, en réinscrivant ces bouleversements dans un environnement qui n’est plus limité au changement technique, économique ou social, et qui englobe le milieu – au sens géographique du terme – dans [End Page 3] lequel s’enracinent les industries. Ces approches ont en particulier mis en évidence les conséquences de l’industrialisation pour les populations et leur environnement matériel4. Dans de telles perspectives, il devient envisageable de décrire la pluralité des réactions des populations au changement technique5.

Il est aussi possible de penser le XIXe siècle industriel en suivant une narration différente, proposant des interrelations autres entre la science, l’industrie, l’innovation et la société. C’est ce que tentent, chacun à leur façon, Guillaume Carnino et Nicolas Sueur dans les articles qui suivent : le premier autour de la figure centrale de Louis Pasteur, le second à partir des rapports entre la science et l’industrie dans le domaine du médicament.

Dans les histoires du XIXe siècle industriel, la science occupe en effet une place de choix. Les savants et les inventeurs sont, aux côtés des entrepreneurs, les promoteurs de l’industrialisation. Ils répondent aux interrogations des industriels en apportant les connaissances nécessaires ou les solutions techniques. Ils deviennent parfois les salariés des entreprises industrielles ou se mettent à leur service, à l’image de Louis Pasteur faisant la promotion de ses procédés de fermentation. Dans le monde de la pharmacie, l’inventeur-pharmacien se fait volontiers entrepreneur. Ces relations entre la science et l’industrie s’épanouissent dans des associations, des commissions ou des organismes publics comme la Société d’encouragement pour l’industrie nationale6. Savants et inventeurs offrent des savoirs pour l’industrie tout en explicitant les pratiques industrielles. Les inventions et les innovations permettent ainsi aux scientifiques d’étendre leur emprise sur le monde de l’industrie.

Toutefois ces liens entre la science, l’innovation, l’industrie et la société au cours du XIXe siècle apparaissent plus complexes. Il serait tentant par exemple d’adosser l’autorité scientifique d’un Louis Pasteur au succès industriel de ses inventions. La légitimité des connaissances produites par les travaux de Pasteur s’enracinerait dans la démonstration de l’efficacité des procédés industriels qui en sont issus. L’industrie serait la « public room » où seraient accueillies les expériences des inventeurs, et la validité de l’expérience se fonderait sur le fait même d’être réalisée à l’échelle industrielle. En quelque sorte, et en appliquant au XIXe siècle les analyses [End Page 4] de Schaffer...

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