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146 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française 32 Il n’y a pas de poésie « engagée » Extrait de L’Etudiant sénégalais Novembre-décembre 1965 Cheikh Aliou Ndao Il n’y a pas que des poètes révoltés, tout est dans la forme. Telle est la « conviction » de certains intellectuels sénégalais qui vont jusqu’à tirer vers eux la poésie d’un David Diop, en essayant de faire de ce militant un puriste. Certes, je reconnais qu’à notre époque de vers libre, il peut paraître difficile de voir ce qui sépare poésie et prose. La versification stricte n’étant plus admise comme seul critère, quelques censeurs prétendent édicter un nouvel art poétique. A de jeunes auteurs qui veulent avant tout dire leur solidarité dans la lutte quotidienne de tous les op-primés, ils opposent une doctrine rigide, qui d’après eux, donne-rait la formule magique d’un bon poème, et nos intellectuels d’énumérer leurs lois. Peut-on parler de poésie sans le poète ? Tout vient de lui. Iqbal n’a pas tort d’affirmer :« Maint poète naquit après sa mort Il ouvrit nos yeux après que les siens fussent clos… ». Nos intellectuels sénégalais dont nul ne doute de la vaste culture savent bien quel rôle social le poète joue dans l’histoire humaine. Eux, si fiers de leur « humanité », n’ignorent pas que le poète dans la plupart des sociétés où les faibles n’ont pas le droit à la parole, narguent la furie des puissants. Dans les pays de régime despotique, il paie de sa vie sa fidélité à ses conceptions. Il est temps d’abandonner l’idée du poète idole, du poète dans sa tour d’ivoire, occupé à travailler, à ciseler, à purifier le langage. Sortons du colonialisme culturel légué par l’enseignement reçu dans une université bourgeoise. Maintenant, même les Français sont obligés de libérer leur langue (Alyosius, Bertrand, Rimbaud, Apollinaire et les surréalistes), n’est-il pas surprenant que des Africains se veulent les héritiers de Vaugelas ? Parce qu’elle est liberté totale, la poésie refuse le corset ou la camisole de force. Elle est libération de celui qui l’écrit ; elle est libération de ceux à qui elle s’adresse. Elle est la main qui brise l’opacité des choses pour pointer l’index sur la Beauté, afin que les hommes soient éclaboussés par sa clarté. Aucune cloison n’existe entre le fond et la forme. Dire d’un poème qu’il n’est pas révolutionnaire parce que trop beau, ou bien qu’il est trop révolutionnaire pour être beau est un non sens. La poésie n’est pas détachée de son auteur. Elle sort de son cœur, de son sang, de sa chair, de sa joie, de ses souffrances. Seule compte l’attitude du poète dans la vie. 147 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française Comme le dit Sékou Touré, « il ne suffit pas d’écrire un poème révolutionnaire pour participer à la révolution ». Un poète révolutionnaire vit pour et par la Révolution. Pendant la résistance du peuple français contre l’occupation nazie, des poètes ont écrit des pages d’histoires avec leur sang. Max Jacob et Desnos sont morts en déportation. Le Chant des Partisans est sorti de la plume d’un poète. Le poète épouse toujours une cause, il appartient à une époque, à une classe ? Quand il écrit, il sait que ses poèmes ne plairont pas à tous. Même le créateur qui se croise les bras est engagé, mais il l’est du mauvais côté. Il importe de respecter nos principes tout en étant les meilleurs. Un bon poème convainc mieux. Il y aura toujours Aragon, Garcia Lorca, Guillen, Hikmet, Neruda et les autres. Cependant, chaque fois qu’un réactionnaire s’incline devant leur valeur, c’est une victoire pour nous. Un poète révolutionnaire n’est pas forcément celui qui ne chante que les combats. Il demeure l’artiste qui frémit devant la Nature ou la courbe des sourcils d’une jolie fille. Pour...

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