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133 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française 29 L’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane Extrait de L’Etudiant sénégalais, novembre-décembre 1964 Journal mensuel de l’Association des Etudiants Sénégalais en France (AESF) Babacar Sine (Editions Julliard) Un livre qui a fait beaucoup parler de son auteur dans la presse africaine (Bingo, Afrique Nouvelle, Dakar-Matin, Vie Africaine) comme dans la presse française (Esprit, L’Express, etc.) ; un grand tam-tam de publicité a été organisé pour célébrer le récit de l’Aventurier, Cheikh Hamidou Kane ou plutôt Samba Diallo. Que dis-je ? C’est presque tout un : Samba Diallo, héros du livre, raconte Hamidou Kane, car il s’agit avant tout d’une autobiographie : Cheikh Hamidou Kane nous invite à connaître son aventure personnelle. Une aventure apparemment banale pour nous, étudiants, mais significative : un enfant africain, Sénégalais en l’occurrence, pétri de la culture de son milieu social et de la culture islamique, rencontre au détour de sa vie, sur son chemin, l’« Occident », une autre civilisation portée au bout du canon dans la fièvre de l’exploitation coloniale. Mais tout cela nous aurait laissés indifférents si à travers son drame personnel et au-delà de celui-ci, Hamidou Kane n’avait posé des problèmes qui concernent directement notre génération ou s’il n’avait essayé de répondre aux problèmes que notre génération se pose : la critique du système colonial et de ses institutions, le contenu du système colonial, notre position face à l’« Occident », la nature et le contenu de notre contribution à la lutte générale contre des formes d’aliénation de l’homme, la nature et le contenu de nos alliances avec les autres peuples du monde ; autant de questions qui ont hanté Hamidou Kane au cours de sa périlleuse aventure. Suivons alors notre aventurier ! Le cas Hamidou Kane En lisant le livre de Hamidou Kane, on a l’impression de se trouver devant une fresque peuplée de personnages qui déconcertent par leur sagesse : des professeurs de philosophie dans un salon, un long récit abondamment farci de réflexions philosophiques : Samba Diallo (Hamidou Kane), son père, le maître coranique qui incarne le haut idéal du parfait sage, la Grande Royale, cette princesse extrêmement lucide, tout ce petit monde familial spécule sur un unique centre d’intérêt : Dieu. On pourrait craindre que cela soit très aride, au point de décourager le lecteur peu 134 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française averti des abstractions métaphysiques : il n’en est rien. Cheikh Hamidou Kane a eu la chance heureusement de forger un style sur mesure, pur, agréable et limpide qui tempère la rigueur philosophique qui court tout le livre. De ce lot de personnages qui défilent devant nous, il y en a un qui domine de toute sa personnalité : Samba Diallo. C’est un intellectuel africain qui a été à trois écoles, à vrai dire, au lieu de deux, contrairement à ce que pense Cheikh Hamidou Kane lui-même : à l’école de la Tradition et la culture africaine proprement dite, à l’école coranique où le maître entend le façonner à son image et à l’« école nouvelle », entendez l’école de la culture française : trois couches d’influences diverses qui se superposent sur le même individu, mais qui se superposent mal parce que conflictuelles et opposées ; et c’est le drame personnel de Hamidou Kane, et c’est ce qui crée l’ambiguïté foncière de sa situation, écartelé ainsi entre divers appels ou pôles contradictoires. « Un être double » dit Aragon. Laissons-le le confesser lui-même :« Je ne suis pas un pays de Diallobé distinct, face à un Occident distinct, et appréciant d’une tête froide ce que je puis prendre et qu’il faut que je lui laisse en contrepartie. Je suis devenu les deux : il n’y a pas une tête lucide entre les deux termes d’un choix ; il y a une nature étrange, en détresse de n’être pas deux ». Ainsi, chez Hamidou Kane, la prise de conscience du fait colonial s’accompagne d’une crise de conscience, l’une et l’autre étant deux...

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