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105 XVIII L éonard, j’ai peur… peur pour nous, dit Thérèse à son mari, qui est assis dans un fauteuil, l’enfant sur les jambes. Peur de quoi ? Explique toi, je ne comprends pas. Ton engagement dans le syndicat peut nous attirer des malheurs. Vois tu une autre solution pour défendre et améliorer nos salaires d’ouvriers, pour vivre mieux? Reste hors des syndicats. Même si les salaires ne sont pas suffisants, contentons nous-en et prions Dieu. Il peut nous aider à bien vivre. Votre lutte est trop dangereuse, et vous n’avez aucune force contre les patrons. Vous ne pouvez rien changer. Bien au contraire, ce sont eux qui auront le dessus et ne vous pardonneront pas votre désobéissance. Surtout toi qui est devant… Ne vois pas seulement des problèmes ma chérie. Vois aussi la possibilité que notre lutte nous donne une vie meilleure. C’est vrai que un à un nous n’avons pas de force. Mais sache que unis, nous devenons forts et faisons peur aux patrons. Voudrais tu que nous nous laissions exploiter jusqu’à la fin de notre vie, sans la moindre possibilité d’améliorer notre sort ? Et nos enfants ? Que deviendront ils ? Regarde ton petit Romain, si vif, avec des yeux innocents… Lui et beaucoup d’autres de sa génération attendent beaucoup de nous, et nous en voudraient de n’avoir rien fait pour leur assurer un meilleur avenir. Je sais qu’il faut lutter pour une vie meilleure. Mais quelle lutte ? Il faut éviter les luttes dangereuses qui peuvent nous attirer des ennuis. Je pense qu’en travaillant et en priant beaucoup, Dieu peut nous donner ce que nous voulons. 106 Emmanuel Kouraogo Sais tu que depuis des centaines d’années, c’est justement des illusions brandies aux yeux des gens pauvres pour qu’ils restent dociles, et se laissent voler tranquillement le fruit de leur travail ? Penses-tu que le travail et la prière seuls suffisent pour améliorer notre sort et assurer un avenir pour nos enfants ? S’il en était ainsi, nos parents vivraient aujourd’hui comme dans un paradis. Eux et nos grands parents ont passé toute leur vie à travailler dur, honnêtement, et à prier Dieu. Je me souviens que mon père et ma mère ont travaillé dur, ont prié beaucoup à l’église pour que je puisse continuer mes études, mais sans succès. Pourquoi veux tu que nous restions toujours pauvres, toujours exploités comme des esclaves, sans pouvoir réagir ? Je pense que ce n’est pas là un fait de Dieu mais des hommes et du Diable. Bien au contraire, les écritures saintes enseignent de lutter pour la justice entre les hommes. Eh, Léonard !... (Elle se met à rire). On ne peut pas te convaincre. Montrons nous des hommes et des femmes dignes. Acceptons de lutter avec tous les risques, pour améliorer notre sort et celui des autres, pour barrer la route à toutes les injustices faites à nos braves travailleurs. Nos parents et grands parents, qui n’ont plus de force, ne sont pas mécontents de nous voir réagir enfin contre ce qui les a maintenus dans l’ignorance et la misère, durant des dizaines d’années ; nos enfants et petits-enfants qui attendent beaucoup de nous, seront fiers lorsqu’ils diront un jour avec amour : Mon père, ma mère, mes grands- parents ont vraiment lutté pour nous ! Vous les femmes, qui souffrez encore plus que les hommes, toute notre société, notre beau pays… tous, nous avons besoin de liberté et de bonheur. Et la liberté a un prix à payer. C’est ce prix que tu ne veux pas qu’on paye ? Non. Je crois plutôt que c’est bien de réagir. C’est cela que Dieu aime. [3.140.198.173] Project MUSE (2024-04-26 07:40 GMT) 107 Bi Tirga Tu dis beaucoup de choses à la fois. Où as-tu appris toutes ces idées ? À l’école ? Dans ton travail ? Dans le syndicat ? J’avoue que ces idées me font réfléchir… Je les ai apprises dans la vie, et surtout dans mon syndicat grâce à mon petit séjour à l’école. Je te laisse réfléchir à toutes ces questions, mon amour. Un jour nous en reparlerons. Peut-être qu’après avoir bien réfléchi, tu me donneras raison et même t’engageras toi...

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