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8 L’État moderne africain et le patriarcat public Ibrahim Mouiche Introduction L’État en tant que société politique est un phénomène récent. Né en Europe au XVIe siècle, il a été imposé au reste de la planète à travers la colonisation. Une fois que nous admettons cette altérité, une question nous vient à l’esprit : quels sont les fondements de l’État moderne africain ? À ce niveau, il est bon de rappeler avec Thomas Hodkin (1966 : 54-55) que l’Afrique à la fin du XIXe siècle, à l’époque du partage colonial n’était pas une table rase, un conglomérat de peuplades . L’Afrique précoloniale peut-être correctement représentée comme un système d’États, d’empires (les Empires d’Éthiopie et de Sokoto) et de sociétés« sans États » ayant des formes extrêmement diverses d’organisation politique et des principes moraux et politiques établis. On ne peut comprendre les institutions et les valeurs des sociétés africaines contemporaines si l’on ne se réfère à ce contexte historique. Toutefois, qu’on le veuille ou non, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore et sans que l’on tombe dans le piège de l’évolutionnisme unilin éaire de la philosophie du progrès du XIXe siècle qui a imposé une théorie unilinéaire du développement social (la société industrielle comme la forme vers laquelle devraient nécessairement tendre les sociétés estimées moins avancées), l’évolution des sociétés politiques africaines, comme leurs droits a été profondément influencée par le phénomène colonial, entendu comme, « la domination imposée par une minorité étrangère, ‘racialement’ et culturellement différente, au nom d’une supériorité raciale (ou ethnique) et culturelle dogmatiquement affirm ée, à une majorité autochtone matériellement inférieure ; la mise en rapport de civilisations hétérogènes : une civilisation à machinisme, à économie puissante, à rythme rapide et d’origine chrétienne s’imposant à des civilisations sans technique 134 La masculinité en Afrique contemporaine complexe, à économie retardée, à rythme lent et radicalement ‘non chrétienne’, le caractère antagoniste des relations intervenant entre les deux sociétés qui s’explique par le rôle d’instrument auquel est condamnée la société dominée, la nécessité pour maintenir la domination, et de recourir non seulement à la ‘force’ mais encore à un ensemble de pseudo-justifications et de comportements stéréotypés, etc. Cette énumération est cependant insuffisante », soutient Georges Balandier (1955 : 34-35). La spécificité relative des sociétés africaines sur laquelle insiste une large littérature africaniste est indiscutablement d’ordre historique : elle provient peut-être de la prédominance dans les temps anciens, d’un modèle d’organisation sociale qui, sans ignorer le principe de l’État, en limitait la centralisation et les capacités d’extraction d’un surplus, par rapport à ce que l’on pouvait constater aux mêmes époques en Europe et en Asie. Le coût de cette trajectoire historique singulière a été la mise en dépendance précoce du sous-continent par des civilisations matériellement plus puissantes que lui : celles de l’Antiquité méditerranéenne, puis le monde arabo-musulman avant que l’Europe occidentale n’assure progressivement sa suprématie à partir du XVe siècle. À cet égard, la dynamique de l’État contemporain/moderne en Afrique noire est bien « orpheline » comme l’écrivent Bertrand Badié et Guy Hermet (1990 ; voir Mbembe 2000 : 22-23) : orpheline d’une grande tradition étatique similaire à celle de l’Occident, de l’Asie centrale et de l’Extrême-Orient. C’est dire combien l’hybridation entre les répertoires autochtones et les répertoires allogènes du politique, phénomène indissociable de la construction de l’État dans le Tiers-Monde, s’effectue en Afrique dans des conditions originales. Il est caractéristique de constater que, dans le passé, les empires n’avaient que peu touché à de très grandes parties des territoires sur lesquels s’étendait leur domination. En dehors des villes d’Asie mineure par exemple, nous savons que les Romains ont laissé intactes des structures communales très anciennes . L’intrusion des Occidentaux signifiait par contre, non seulement l’arrivée des Occidentaux, mais leurs institutions et dont l’État. Les pages qui suivent portent sur cet État importé en Afrique...

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