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30 Raisons de la folie Jean-Max Gaudillière Ces notes sont inspirées par deux expériences et leur convergence:1 une expérience, clinique, qui nous a menés, Françoise Davoine et moi-même, à travailler pendant plus de vingt-cinq ans à l’hôpital psychiatrique, comme psychanalystes, avec des patients diagnostiqués fous, psychotiques, schizophrènes, etc. L’autre, qui interroge, année après année,2 ces questions cliniques à partir des travaux d’autres cliniciens, mais aussi de philosophes ou d’écrivains de la littérature et de la poésie, rencontrant dans leur champ les enseignements de la folie. Je commence mon propos par une brève entrée dans l’impitoyable clarté de l’espace transférentiel, toujours ouvert d’emblée par la folie dans sa dynamique propre. Un jour, le médecin-chef du service me demande de prendre contact avec un patient chronique – comme on dit – ce qui dans ces lieux-là signifie en fait horstemps , hors du temps, et donc plutôt «achronique». Il va mal. En fait, il s’est retiré depuis quelques semaines dans sa chambre, ne s’alimente pratiquement plus, et présente son corps à l’abandon, dans les excréments qu’il ne contrôle plus. Je me présente au pied de son lit, en déclinant mon nom et ma fonction à l’hôpital, qu’il connaît à l’évidence depuis longtemps. Sa réponse, portée par ses yeux fiévreux et un ton sans réplique, dévalue sur l’heure ma pseudo carte d’identité: «Moi, je suis un codé de l’anti-passé», me lance-t-il sans autre commentaire. Sauf à passer une telle proposition, à la fois énigmatique, interrogeante et féconde, à la trappe d’un diagnostic quelconque, les questions du langage, du code, de la définition du temps et même de la négation sont posées à mon intention: j’essaie depuis de ne pas abaisser ces enjeux, qui sont bien entendu scientifiques, au sens le plus rigoureux du terme, en tant qu’ils nous ramènent sans autre ménagement vers le « vertex » (comme dirait Bion3 ) de la causalité, dont les coordonnées paraissent s’imposer de soi pour articuler partout les exigences de la rationalité dans le champ de la connaissance. 362 La rationalité, une ou plurielle? Concernant la folie, les choses ne sont cependant peut-être pas si immédiatement réductibles au canon admis comme préconception de tout discours scientifique – notamment médical – possible. Dans le Cahier Bleu4 et dans d’autres réflexions, Ludwig Wittgenstein nous aide à poser plus fermement le problème: Il semble à première vue que ce qui donne à l’activité de penser son caractère particulier, est qu’elle consiste dans une suite d’états mentaux, et il semble que ce qui est étrange et difficile à comprendre dans cette activité de penser, ce sont les processus qui se passent dans le medium de l’esprit, processus seulement possibles dans ce medium… Le mécanisme de l’esprit doit être d’une sorte particulière pour être capable de faire ce que fait l’esprit. Mais ici nous faisons deux erreurs. Car ce qui nous a frappé comme étant étrange dans la pensée et l’activité de penser, ce n’est pas du tout que ça produit de curieux effets que nous ne sommes pas encore capables d’expliquer (par la causalité). Notre problème, en d’autres termes, n’était pas un problème scientifique, mais une confusion ressentie comme un problème. Voilà, dans la rigueur, la racine de la plupart des questions qui touchent la folie, et les rationalités qui cherchent à l’approcher: que nous soyons du côté des sciences dures (comme la neurobiologie), du côté des sciences molles, comme la psychanalyse et la sociologie entre autres, ou perdus dans le no-science land par les disciplines de gestion sociale de la folie, telles les modes d’interventions chimiques, électriques, et même à nouveau chirurgicales, qui ont tout simplement abandonné ces prémisses de rigueur au monde modélisé et finalisé de l’expertise technique. Continuons donc avec Ludwig Wittgenstein: Supposons que nous essayions de construire un modèle de l’esprit qui serait le résultat d’investigations psychologiques, un modèle qui, devrions-nous dire, expliquerait l’action de l’esprit. Ce modèle ferait partie de la théorie psychologique de la même manière...

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