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30 Le patrimoine décentralisé Du levain pour demain DROIT DE CITÉ POUR LE PATRIMOINE 268 E n quoi les artistes peuvent­ils se sentir concernés par la décentralisation du patrimoine? D’habitude, on traite au mieux cette question comme une affaire de politique générale; au pire, elle sert de prétexte à proposer d’ennuyeuses remises à plat des procédures administratives. Osons une comparaison : c’est comme si on parlait de la voiture automobile sous l’angle exclusif de l’industriel et du mécanicien, sans évoquer l’usage qu’on en peut faire. Pascal Deloche / Godong / Photononstop Œuvre de Fernand  Léger ornant le tympan de Notre-Damede -Toute-Grâce du plateau d’Assy. [18.117.81.240] Project MUSE (2024-04-26 15:05 GMT) le pAtrIMoIne décentrAlIsé 269 En fait, l’interrogation «Qui doit­on charger de la gestion et, le cas échéant, de la définition du patrimoine?» suscite un débat beaucoup plus vaste, sur les conditions dans lesquelles se développe la vie artistique. Schématiquement, deux modèles s’opposent. D’un côté, la centra­ lisation: l’art profite des impulsions que le pouvoir suscite, progresse par l’émulation qui résulte du rassemblement des créateurs en un lieu, s’orga­ nise en de puissantes institutions publiques et privées, se répand dans la province, place la capitale au niveau international. De l’autre, la déloca­ lisation: dans un espace politique constitué comme une sorte de réseau dépourvu de centre, l’art s’exprime dans la diversité, la liberté, l’esprit d’émulation, le foisonnement. On aura reconnu dans le premier cas le système que la France a pratiqué depuis saint Louis jusqu’à la Ve Répu­ blique; dans le second, les conditions de la vie artistique que les pays germaniques et l’Italie connaissent depuis le Moyen Âge. Ces deux modèles possèdent des avantages, mais aussi des inconvénients: le pre­ mier engendre la tyrannie de la mode et la monotonie. Le second peut tomber dans le provincialisme. Héritage des Bourbons et de Colbert, du Directoire et de l’Empire, l’Académie des beaux­arts, conçue alors comme la pointe et la convergence de tout l’enseignement artistique, sait duquel de ces modèles elle relève mais, du point de vue où elle se place, elle a pu observer au fil du temps une sourde et perpétuelle tension, une résistance à l’uniformité décidée par la capitale: à la fin du xixe siècle, Charles Garnier attirait son attention sur le conflit qui opposait le pittoresque de la couleur locale à la monoto­ nie de l’époque industrielle. Plus que d’autres, les artistes y ont été sen­ sibles: à l’écart des réseaux convenus, le travail de la création se nourrit de l’étendue du pays, de sa diversité géographique non moins qu’histo­ rique, de la magie des lieux, des influences transfrontalières, des hasards des regroupements, des volontés locales. Certes, des réussites tels l’atelier d’architecture de Tony Garnier à Lyon ou l’École de Nice se comptent avec parcimonie, mais notons qu’en enracinant leur création dans le patrimoine local, les artistes, de Delacroix à Picasso en passant par Odilon Redon, Zadkine, Max Ernst, Lurçat et bien d’autres, ont peut­être fait plus pour le protéger et le signaler que les héritiers de Prosper Mérimée. Hélas, le résultat de ce travail d’individualisation, d’originalité, d’expérimentation est soumis, avec le renforcement des administrations culturelles de l’État, à un contrôle centralisé qui, sous couleur de péréqua­ tion républicaine, conduit à l’uniformisation; au prétexte de répartition des pouvoirs, à la déresponsabilisation; pour le motif de spécialisation des savoirs, à l’affaiblissement de l’esprit d’émulation. D’un bout à l’autre du territoire, le patrimoine de toutes origines et de toutes époques, remodelé par un mode de traitement uniforme, n’affichera bientôt plus d’autre originalité que de se distinguer du neuf. La décentralisation prévue par le gouvernement Raffarin s’inscrit dans la lignée de plusieurs mesures que la France a connues au fil du temps. La dernière en date remonte aux années 1983­1985, avec la loi Defferre, notamment, qui donne aux maires des attributions dans le DROIT DE CITÉ POUR LE...

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