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29 Le patrimoine face à la décentralisation Quel champ d’action? DROIT DE CITÉ POUR LE PATRIMOINE 258 L e terme patrimoine désigne des biens que visent les textes juridiques et administratifs sur les monuments historiques, les archives, les musées, l’archéologie, l’inventaire, le livre, l’ethnologie, etc., mais pas seulement ceux­là. Il concerne aussi l’ensemble des productions, matérielles ou immatérielles, qui ont résisté à la destruc­ tion et dans lesquels une société donnée, à un moment donné, trouve de l’intérêt. Il s’introduit dans le discours que cette société entretient avec celles qui l’ont précédée et souhaite amorcer avec celles qui suivront. Ce mot, en somme, permet de caractériser une notion qui relève de l’anthro­ pologie et traite de façon englobante les productions humaines du passé. Il est entré dans le vocabulaire politique, voici plus d’un quart de siècle, a trouvé son heure de gloire en 1980 avec l’Année du patrimoine, s’est imposé par la suite dans la langue du bottin administratif pour dési­ gner les administrations de la Culture chargées de conserver l’architecture ancienne. On veut insister ici sur l’étonnante évolution qui s’est produite: en 1980, le projet gouvernemental visait à sortir des activités étatiques habituelles, à susciter des initiatives nouvelles, à présenter l’intérêt collec­ tif pour le patrimoine comme un fait social, bref à relativiser les vieux concepts administratifs (monuments historiques, musées, etc.) au profit d’une pratique plus large. La suite des événements, en dépit de circons­ tances diverses qu’il n’y a pas lieu de raconter ici, a produit, en réalité, l’effet inverse de celui que les promoteurs de l’Année du patrimoine souhai­ taient: le patrimoine s’est restreint aux stricts champs de l’archéologie, de l’Inventaire et des monuments historiques. J.-C. et D. Pratt / Photononstop Travaux de restauration dans l’amphithéâtre d’Arles.  [3.17.173.165] Project MUSE (2024-04-26 10:02 GMT) le pAtrIMoIne fAce à lA décentrAlIsAtIon 259 Au nombre des raisons qui ont conduit à ce constat, on citera: le fait qu’aucun ministre de la Culture n’a témoigné jusqu’à présent de la volonté politique de rassembler dans une logique administrative unique les politiques de conservation qu’élaborent et conduisent différents dépar­ tements tels que le Livre, les Musées, les Archives, le Cinéma, etc. Qu’en corollaire, ces différents départements ont préféré faire cavalier seul, quitte à perdre le bénéfice d’une désignation, «patrimoine», évidemment porteuse auprès de l’opinion, plutôt que d’être soumis à une coordination. Et, pour finir, la capacité d’inertie dont a fait preuve le service des Monuments historiques face à la déstabilisation potentielle que le patrimoine suscitait de ses principes. Le Monument historique, dans sa pratique française, obéit, en effet, à un projet élitiste et malthusien – peu d’artéfacts sont susceptibles d’être concernés – mais également à un projet d’État centralisé – c’est un signe, choisi par les fonctionnaires d’État, qui s’adresse à l’ensemble de la collectivité du pays sans qu’elle ait grand­chose à en dire. Depuis sa fon­ dation en 1830, le service des Monuments historiques n’a cessé de croire en sa mission nationale car c’est elle, et elle seule, qui justifie le caractère hyper centralisé, malgré quelques déconcentrations, de ses interventions et de sa pratique en matière de restauration – qui consiste à échanger des prescriptions techniques et une maîtrise d’œuvre (l’architecte en chef) contre une forte somme d’argent provenant du budget de la nation (autre­ ment dite: subvention). Le patrimoine, en revanche, répugne à toute hié­ rarchie de valeurs artistiques ou historiques ou, du moins, tend à la dissoudre: sous l’angle des sciences sociales, tout devient intéressant. Il rappelle en outre que la pyramide des groupes, au sommet de laquelle serait l’État­nation, ne s’impose pas: au pire, elle paraît archaïque, au mieux elle sonne faux sous l’angle d’une histoire de l’Europe qui refuserait, à juste titre, de s’en tenir à la notion de «frontière­ligne». En deux mots: le monument historique est jacobin; le patrimoine est girondin. Aujour­ d’hui, le monument historique a tué son rival mais en a pris...

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