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14 Conversion ou trahison La sauvegarde du patrimoine industriel DROIT DE CITÉ POUR LE PATRIMOINE 132 P arler de patrimoine industriel soulève une question de définition. On pourrait en limiter le champ aux outils de production. Ou, au contraire, l’étendre à tout produit d’architecture qui intégrerait des éléments de construction industrialisés: mais comment, dès lors, tracer la frontière qui séparerait l’architecture industrielle ainsi pensée de celle qui ne le serait pas? Il serait probablement facile de répondre au problème si l’arrière­plan n’en était pas largement idéologique. Doublement idéologique: d’une part, au nom d’une dialectique imaginaire entre monuments du pouvoir et monuments du travail; d’autre part, parce qu’est en jeu la définition de la modernité en architecture. La définition de la modernité, en effet, telle qu’elle est énoncée par les modernes, suppose l’emploi de matériaux nouveaux, lesquels engendrent la forme; à quoi s’opposerait l’historicisme, qui, tout à la fois, ferait référence aux styles historiques, et emploierait la pierre. Si donc on entend limiter le champ de la modernité à ceux­là qui s’en sont fait l’étalon, on s’en tiendra à une définition restrictive de l’architecture industrielle. Si, au contraire, on prétend que les frontières sont moins tranchées qu’on le croit, si l’on veut faire observer, par exemple, que Nénot, dénoncé comme l’académique par excellence, a conçu pour la Sorbonne une imposante façade en pierre côté rue des Écoles et une façade de briques industrielles côté rue Cujas (pour Richard Baron / Light Motiv La filature de  coton Motte-Bossut à Roubaix convertie en centre des Archives du monde du travail, photographié en 2010. [18.117.107.90] Project MUSE (2024-04-26 05:19 GMT) conversIon ou trAhIson 133 les Sciences), alors on refusera une telle définition et l’on reconnaîtra que l’immeuble historiciste qui intègre des poutres en fer, un ascenseur ou un équipement de chauffage n’est pas éloigné du champ de l’industriel1. ■ ■ Une histoire subjective de la protection du patrimoine industriel Les ouvrages traitant du patrimoine industriel étant à la fois rares et, à l’exception des études thématiques, peu satisfaisants, je me propose d’évoquer les grandes lignes de la protection du patrimoine industriel au ministère de la Culture telles que je les ai vécues en tant qu’acteur pendant les quatorze années que j’ai consacrées à l’administration du patrimoine. Quatre phases me paraissent pouvoir se distinguer: De 1977 à 1979, deux années pendant lesquelles, jeune inspecteur des monuments historiques, j’ai assisté, toutes les trois semaines, aux séances de la Commission supérieure des monuments historiques. À cette époque, on parlait très peu de patrimoine industriel. Tout au plus a­t­on inscrit sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1978 la filature de coton Motte­Bossut à Roubaix, l’un des plus grands groupes textiles du Nord, jusqu’à sa liquidation en 1982. En 1983, la grande nef, cédée à l’État, a été réhabilitée par l’architecte Alain Sarfati et convertie en centre des Archives du monde du travail. À la même époque, on évo­ quait aussi une sorte de serpent de mer, la protection de la chocolaterie Menier à Noisiel. Ce bâtiment fétiche pour les historiens, car il avait été remarqué par Viollet­le­Duc dans les Entretiens sur l’architecture en raison de sa structure métallique et son décor de briques émaillées, faisait l’objet de négociations sans issue avec son propriétaire d’alors. Passé depuis entre les mains de Nestlé France, il a fini par être réhabilité et classé en 1992. De 1979 à 1983, j’ai été chargé du patrimoine dans la région Rhône­Alpes. C’est là que, pour la première fois, j’ai entendu explicitement parler de patrimoine industriel, alors que, durant mes deux années passées au sein du ministère de la Culture, il n’en avait jamais été question. Sur ce point, comme sur d’autres (l’archéologie urbaine), la province s’avérait en avance sur la capitale. J’ai alors profité des études en cours pour lancer des campagnes thématiques: sur les usines textiles du Beaujolais, sur les mou­ linages de l...

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