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10 Vingt-cinq ans d’histoire du patrimoine DROIT DE CITÉ POUR LE PATRIMOINE 94 L es recherches que j’ai conduites depuis environ vingt-cinq ans ne concernent pas toutes l’histoire du patrimoine – je laisse ici de côté ce qui concerne la législation et l’administration cultuelle, ainsi que ce qui a trait à l’histoire de l’architecture et à celle des arts décoratifs. Je les ai néanmoins pratiquées avec suffisamment de constance au long de cette période pour qu’il m’apparaisse aujourd’hui qu’elles se rangent selon quatre axes: l’œuvre de la Révolution, la politique patrimoniale du xixe siècle, l’invention des pratiques culturelles autour d’un monument, la critique de la situation actuelle. ■ ■ La période révolutionnaire et la collectivisation du patrimoine En 1989, la publication de La Culture des sans-culottes, produite en collaboration avec le philosophe Bernard Deloche, proposait, sous le sous-titre: Le premier dossier du patrimoine. 1789-17981, un recueil de textes datant de la dernière décennie du xviiie siècle. L’ouvrage était destiné à mettre en évidence la politique culturelle de la Révolution française. Curieusement, les experts universitaires qui conseillaient alors la mission du Bicentenaire sous le courageux palladium de l’anonymat n’avaient pas 1. Paris et Montpellier, Éditions de Paris et Presses du Languedoc, 1989. Rue des Archives / Tallandier Vue du musée des monuments français par Jean Lubin Vauzelle, vers 1816.  [3.12.161.77] Project MUSE (2024-04-26 05:08 GMT) vIngt-cInQ Ans d’hIstoIre du pAtrIMoIne 95 cru devoir accepter l’ouvrage dans la liste de ceux qui avaient recueilli l’imprimatur et le label du «Bicentenaire de la Révolution française» – trois colombes tricolores. Jack Lang, ministre de la Culture, accepta néanmoins de le préfacer. L’ouvrage entreprenait d’explorer un sujet qui allait être appro­ fondi deux ans plus tard (1991) par Édouard Pommier dans L’Art de la liberté. Doctrines et débats de la Révolution française, puis, en 1996, par Dominique Poulot dans sa thèse Surveiller et s’instruire. La Révolution française et l’intelligence de l’héritage historique. Plus de dix ans plus tard, La Culture des sans-culottes n’a guère vieilli, me semble­t­il: ce recueil de textes réserve ses attraits à ceux qui souhaitent prendre connais­ sance d’une question complexe et obscurcie à plaisir par des analyses polémiques; des index des noms de lieux, de personnes et des matières en facilitent la consultation. Nous adoptions dans l’introduction un point de vue «médiolo­ gique» avant la lettre: la Révolution française avait conçu une politique culturelle qui pouvait s’analyser en termes d’émetteur, de message, de vec­ teur et de récepteur. Ainsi, les commissions spécialisées des gouvernements révolutionnaires avaient­elles fondé les principes de l’inventaire, du tri (avec destruction) et de la conservation. Cette politique répondait aux critères de la politique révolutionnaire, qu’il s’agît de la lutte contre la féodalité (les disparités judiciaires et administratives), contre la superstition (les insti­ tutions ecclésiastiques et la religion), contre la monarchie, contre l’étranger: elle visait l’unification volontariste du corps social, en détruisant les mémoires particulières et en étatisant ce qui relevait de la culture, du patri­ moine, de la création et de l’instruction. C’est de ce point de vue que s’éclairent la nationalisation des biens du clergé, la confiscation de ceux des émigrés et la création des grandes institutions patrimoniales. La finalité scientifique, avec ce qu’elle possède de gratuit, n’est donc pas première: la culture vaut d’abord comme instrument de com­ munication politique. C’est pourquoi elle rassemble sous ce nom des champs extrêmement diversifiés: la langue, les noms de rue, les costumes des législateurs tout autant que les livres ou les œuvres des musées. C’est pourquoi aussi le discours révolutionnaire, tout en posant le tri comme démarche fondamentale d’appropriation du patrimoine, se demande éga­ lement quels en peuvent être les fondements: le discours du court terme qui vise l’anéantissement du régime qui vient d’être écrasé; l’instruction publique qui veut mettre en évidence le progrès des sciences, des arts, des lettres, des...

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