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8 Victor Hugo et le débat patrimonial Conjoncture et conjectures DROIT DE CITÉ POUR LE PATRIMOINE 76 ■ ■ Intransigeance et patrimoine«J’ai trop peu vu la France et trop vu la Vendée.» On connaît cette fière réponse faite en 1846 par Victor Hugo au reproche plus ou moins apocryphe qu’un ami de sa mère lui aurait adressé d’avoir abandonné les convictions ultra­royalistes de sa jeunesse (Contemplations, p. 3041). Ultra, Hugo le fut en effet, comme Lamennais le fut aussi, comme le fut à sa façon le jeune Michelet qui demandait à l’âge de dix­huit ans le baptême dans la confession catholique. On aurait tort de négliger ces premières convic­ tions: elles donnent la preuve d’une tournure d’esprit qui rassemble l’his­ torien, le prêtre et le poète, l’intransigeance. C’est cette intransigeance à l’égard du juste milieu et de ses accommodements qui les conduisit tous trois, chacun à sa façon, à s’exiler sur un rocher. Hugo, pour sa part, n’en conçut aucun regret. Reprenant en 1855 son poème de 1846 pour un post­ scriptum, il s’interrogeait sur son geste: «Ici, le bruit du gouffre est tout ce qu’on entend/Tout est horreur et nuit. – Après? – Je suis content.» (Contemplations, p. 314). L’intransigeance, qui conduisit celui dont nous fêtons le bicente­ naire à passer de l’ultracisme à la République après l’expérience du libéra­ lisme de Juillet dont il accepta d’endosser l’habit de pair de France, tenait 1. L’édition ici utilisée est celle de Jean Gaudon, au Livre de poche, Librairie générale française, 1985. akg-images / ullstein bild. Les constructions hôtelières sur le sommet du Rigi Kulm, photochrome, vers 1900.  [18.191.5.239] Project MUSE (2024-04-25 15:26 GMT) vIctor hugo et le débAt pAtrIMonIAl 77 chez lui du ministère sacerdotal: «[On] m’appelle apostat, moi qui me crus apôtre» (p. 303). «Apostat»? Il voulait «servir la cause humaine» (p. 309), frissonna parfois, avouait­il, tel le Job biblique aux vents de la politique et de l’histoire, mais ne varia jamais de chemin. C’est cette intransigeance­là, appelons­la encore refus du compromis, qui lui fit prendre la blouse de l’avocat en faveur de l’école, de la femme et de l’enfant. D’une autre cause encore; nous l’appelons «patrimoine». Pour le désigner, le poète employait une image: Tous les penseurs, sans chercher qui finit ou qui commence, Sculptent le même rocher: Ce rocher, c’est l’art immense (p. 65). Baudelaire en employa une autre, non moins célèbre: Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage, que nous puissions donner de notre dignité, que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge et vient mourir aux bords de votre éternité. La cause du patrimoine a besoin, aujourd’hui comme hier, d’intransigeance: Hugo aurait détesté ceux qui prétendent sauver le seul patrimoine qui rapporte argent ou réputation pour laisser détruire celui qui coûte; il n’aurait point aimé, lui qui voulait lire dans l’Univers, qu’on limitât son champ aux limites territoriales du pays; il s’inquiétait aussi, lui l’exilé volontaire, d’une religion de prêtres qui ne fussent point des poètes, qui privilégiassent comme idéal le soin de la carrière ou de la profession, qui sacrifiassent l’avenir aux intérêts douteux du moment. Avant qu’il ne quittât le sol natal pour l’exil, puis lors de ses dépla­ cements sur le continent, en Belgique notamment, Hugo fut un homme engagé dans la cause du patrimoine. Il la défendit par sa plume, mais aussi par son verbe à la Chambre des pairs et au Comité des arts et monuments. Il dénonça les massacres monumentaires, il plaida contre l’urbanisme progressiste, celui qui tue la mémoire en invoquant l’hygiène et la sécurité publique, il poussa à la restauration des grandes œuvres du passé, Saint­ Germain l’Auxerrois, la Sainte­Chapelle, Notre­Dame de Paris. D’une œuvre considérable quelles leçons pouvons­nous tirer pour notre temps et pour ceux qui lui succéderont? On connaît le danger d’un exercice de cet ordre: faire dire une fois de...

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