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Chapitre 1. IDÉES REÇUES ET ÉTAT DE LA QUESTION Plusieurs politologues et historiens ont indirectement suggéré des réponses aux questions soulevées par Kirton et Francis. L’objectif de ce premier chapitre est d’exposer les diverses hypothèses et propositions avancées jusqu’ici au sein du champ d’étude de la politique étrangère canadienne (PEC) à l’égard de l’importance, variable, de la France dans la politique de sécurité internationale du Canada1 . Nous soulignerons ainsi les forces et les faiblesses de ces propositions et, par le fait même, situerons les fondements logiques et théoriques de notre propre hypothèse à ce sujet, qui se veut une synthèse originale des travaux discutés dans ce chapitre. Ainsi, il apparaîtra clair à la fin de ce premier chapitre pourquoi nous proposons 1) que le rôle de la France en PEC est suffisamment significatif pour être analysé en détail; 2) qu’il est directement lié à la culture politique canadienne en matière de politique de sécurité internationale – ce que nous qualifions de culture stratégique; 3) qu’il est directement causé par une certaine identité étatique canadienne. Pour en arriver là, un bref aperçu des idées reçues en PEC est nécessaire, de manière à dresser l’état de la question du rôle de la France dans ce champ d’étude. UN RÔLE NÉGLIGEABLE: LA MÉTAPHORE DU TRIANGLE NORD-ATLANTIQUE Avant d’exposer les propositions avancées jusqu’à présent sur le rôle de la France dans la politique étrangère canadienne, il convient de souligner celles qui, au contraire, suggèrent une importance négligeable, voire inexistante. Parmi celles-ci se trouve le cadre analytique qui sous-tend la célèbre métaphore du triangle nord-atlantique. Développée par John Bartlet Brebner au cours de la Seconde Guerre mondiale, cette analogie sert à caractériser, entre autres choses, l’exceptionnalisme des relations entre la Grande-Bretagne, les États-Unis et le Canada. Contrairement aux pays de l’Europe continentale , observe James T. Shotwell dans sa préface de l’ouvrage de Brebner, ces trois «peuples anglophones» ont su éviter les vicissitudes de la politique 1 . Nousutilisonsdemanièreinterchangeablelesexpressions«politiqueétrangère»et«politique de sécurité internationale» pour parler des pratiques diplomatico-stratégiques canadiennes afin d’éviter la redondance. 14 de puissance grâce au «tempering solvent of like-mindedness and common sense [rather] than by legal precautions of an institutional nature» (Brebner, 1958, p. viii). L’exceptionnalisme exprimé par la métaphore va donc au-delà des liens économiques, institutionnels et légaux qui unissaient les trois pays à l’époque (aussi importants fussent-ils) pour se manifester en véritable «entité politique anglo-saxonne» – aujourd’hui rebaptisée anglosphère – sur la base d’une langue et d’une culture communes (Vucetic, 2011). Ce n’est toutefois pas la démonstration de l’existence d’une identité collective « anglosphérique » qui est au cœur de l’ouvrage de Brebner, mais plutôt le désir de souligner l’importance de Londres et de Washington comme principaux facteurs d’influence sur le Canada (Creighton, 1980, p. 169; Brebner, 1958, p. xi-xii). De ce point de vue, la métaphore du triangle sert de délimitation autant géopolitique que normative à l’orientation diplomatico-stratégique du Canada (Mackenzie, 2006). Le prétendu développement d’un rôle international d’intermédiaire ou de médiateur entre la Grande-Bretagne et les États-Unis – mieux évoqué par le terme anglais de linchpin – illustre bien cette idée selon laquelle l’essentiel de la politique étrangère canadienne devait consister, avant même la création du pays, à préserver (ou à susciter) un climat de solidarité et d’amitié angloam éricaine. « Anglo-American understanding was henceforth to be, if not always acknowledged, the cardinal principle of Canadian foreign policy, for if Great Britain and the United States began to pull in opposite directions the vulnerable Dominion of Canada was bound to be the first casualty» (Brebner, 1958, p. 197). La menace d’une guerre entre les États-Unis et la GrandeBretagne (crainte par certains en raison de l’alliance anglo-nipponne) illustre la gravité de la situation d’un point de vue canadien et explique l’importance qu’accordait Ottawa à un rapprochement anglo-américain. Cette préoccupation découlait évidemment d’un souci non seulement pour sa...

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