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chapitrE 10 LES ERREMEnTS DE LA LuTTE AnTITERRoRISTE La répression comme facteur de radicalisation dans les États centrasiatiques Didier Chaudet Depuis le 11 septembre 2001, tous les analystes rappellent à qui veut l’entendre qu’on ne peut vaincre un groupe terroriste ou une guérilla en employant uniquement la violence. Il faut « conquérir les cœurs et les esprits », se gagner les populations, mener une lutte intellectuelle, idéologique , politique. Cette leçon est bien connue, et pourtant, elle ne semble jamais être prise totalement au sérieux. Il est bien entendu nécessaire pour un État de s’opposer à des rébellions armées par la force. Les analystes qui parlent de conquête des cœurs ne s’opposent pas à ce fait, mais plutôt à l’emploi disproportionné et indiscriminé de la violence d’État. Cette dernière peut alors créer des ennemis qui n’existaient pas au départ, amplifiant le problème qu’elle était censée régler. Se met alors en marche un cercle Terrorisme et insurrection 234 vicieux répression/radicalisation qu’il devient difficile de contrôler. Alors que cette approche est tout sauf productive, elle semble être naturellement adoptée de par le monde. Quelle est la logique de ce cercle vicieux répression / radicalisation, comment y arrive-t-on ? Pour penser ledit cercle vicieux, on se penchera sur le cas centrasiatique, cas particulièrement intéressant car à première vue, les sociétés d’Asie centrale semblent des terreaux peu favorables à la radicalisation (sécularisation forte de par l’influence soviétique, populations peu touchées par l’antiaméricanisme dans les années 1990, etc.). L’analyse s’articulera autour de trois grands points. Tout d’abord, on verra que les leaders centrasiatiques suivent le mauvais exemple de régimes autoritaires ailleurs dans le monde musulman, notamment dans le monde arabe, qui ont usé uniquement de la répression pour gérer leur opposition islamiste. On retrouve dans ces deux zones un refus de l’alternance politique et des tensions internes fortes expliquant cette situation. On verra que dans les deux cas, cette méthode a fait naître une radicalisation poussant au terrorisme, au sein d’une idéologie qui n’était pas forcément destinée à devenir violente. Nous nous concentrerons ensuite sur le cas de l’Ouzbékistan, particulièrement emblématique du cercle vicieux répression/radicalisation. Les deux premiers points montreront l’importance des responsabilités politiques locales. Mais pour comprendre la pérennité d’une politique sécuritaire qui s’est montrée néfaste dans plus d’un pays, il faudra finalement se tourner vers les autres responsables. En effet, la Russie, la Chine, mais également les États-Unis, comme principales influences extérieures, ont une lourde responsabilité dans la transformation de l’Asie centrale en bombe à retardement sécuritaire. . coMpREnDRE LA SITuATIon cEnTRASIATIquE: unE AnALySE généRALE Avant d’analyser dans le détail le cas ouzbek, qui a produit les mouvements terroristes les plus dangereux, il faut d’abord s’intéresser à la situation régionale centrasiatique. En premier lieu, nous montrerons comment la répression a été une des causes principales, pour ne pas dire la source la plus importante, du terrorisme ailleurs dans le monde musulman, notamment [3.137.172.68] Project MUSE (2024-04-25 15:08 GMT) Les errements de la lutte antiterroriste 235 dans le monde arabe1 , afin de permettre une comparaison avec la situation centrasiatique. Une telle mise en parallèle permettra par la même occasion de se pencher sur les causes de ce choix répressif à terme dangereux pour les régimes locaux eux-mêmes. Insurrections/terrorismes islamistes et logique répressive: une analyse générale Selon un certain nombre d’études universitaires, il existe deux approches possibles du monde musulman: la vision «confrontationniste» et le positionnement « accommodationiste2». La première s’inscrit dans une logique de «choc des civilisations»: la différenciation entre islam, islamisme et mouvements jihadistes terroristes n’est pas clairement établie, l’ensemble étant présenté comme fondamentalement hostile à l’Occident et à la démocratie. Dans cette vision, les questions politiques ou économiques comptent peu ; on serait dans une réaction « irrationnelle » de l’Orient musulman face à Washington et à ses alliés3 . Le problème du confrontationnisme est qu’il ne résiste pas à une étude scientifique de la question islamiste ou jihadiste/terroriste. Les analyses les plus récentes montrent...

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