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Préface Par-delà le désir de disciPlinarité Yves Jeanneret Université Paris-Sorbonne, Celsa Ce n’est pas un mystère que la question identitaire se pose avec une acuité variable d’une discipline à l’autre. Certaines s’en dispensent aisément et d’autres en dépendent, lesquelles se trouvent souvent en situation de double bind. Sans affirmer cette identité, elles n’existent simplement pas dans l’ordre naturel des savoirs qui «repousse, de l’autre côté de ses marges, toute une tératologie du savoir»: elles sont au nombre «des monstres [qui] rôdent [et] dont la forme change avec l’histoire du savoir» (Foucault, 1971, p. 35). Mais à peine ce souci identitaire est-il exprimé qu’il sera taxé de remplacer des enjeux intellectuels par une préoccupation narcissique paralysante. De fait, aucune«inscription» disciplinaire ne garantit la qualité d’un travail, qui se définit toujours singulièrement dans ce «dialogue entre théorie et empirie [qui] est toujours une négociation complexe et partiellement opaque» propre à toute intelligence du social (Berthelot, 1990, p. 11). Ce type de paradoxe est propre à tout groupe minoritaire qui dès qu’il revendique une identité renforce sa marginalité. Pour Baudouin Jurdant, la notion même de scientificité relève du paradoxe: les sciences humaines ont élaboré cette notion pour revendiquer une dignité égale à celle des sciences de la nature, se plaçant ainsi dans la dépendance de définitions hétéronomes de leur travail (Jurdant, 2006, p. 131-143). Le physicien ne se demande jamais si son travail est scientifique, mais seulement s’il est exact. Ce sont le sociologue qui ne veut pas être pris pour un philosophe ou le sémiologue qui met à distance l’écrivain qui revendiquent leur scientificité. Je connais bien cette histoire, ayant été formé dans le projet d’une science de la littérature. Tel est le poids des croyances dans l’ordre des savoirs. Lors d’un atelier de la Société française des sciences de l’information et de la communication (SFSIC) en 1998, j’avais questionné le sens de ce fameux désir de disciplinarité et fait remarquer que les disciplines les plus légitimes de l’université comme la philosophie, la littérature ou l’histoire n’avaient guère de canon méthodologique ni d’objet clairement conceptualisé. J’ai alors entendu un collègue me dire: «Mais ça, ce ne sont pas de vraies disciplines!» L’adjectif «vraies» marque une conception idéologique de la scientificité. Il ne faut jamais oublier l’historicit é de ce type de croyance, notamment dans le dialogue avec les disciplines qui nous regardent de haut – ce n’est pas un mystère – alors qu’elles ont eu à affronter autrefois le présupposé d’inexistence. Ainsi, Durkheim était-il professeur de science de l’éducation en Sorbonne et Tarde occupait-il la chaire de philosophie moderne au Collège de France. Ce type de question se pose intensément à tous les projets scientifiques collectifs qui ont prétendu s’institutionnaliser au cours du dernier siècle, notamment ce qu’on appelle en France des «interdisciplines» – catégorie administrative associée à la création de disciplines récentes. Cette terminologie a l’avantage de désigner le caractère multidimensionnel de ces projets: sciences de la communication/de l’information et de la communication/de l’information et de la documentation; sciences de l’éducation/de la formation; histoire et épistémologie des sciences et des techniques, etc. Et, de fait, ces projets scientifiques ont trois caractéristiques qui expliquent qu’elles soient souvent ainsi renvoyées à un espace interdisciplinaire : d’abord, leur développement se fait d’un pays à l’autre selon des catégories différentes – l’union de l’information et de la communication est, par exemple, forte en France alors qu’ailleurs on distinguera nettement media studies, information and library science, cultural studies, communication sciences, scienze della cultura, memoria social, etc. –; ensuite, des échanges très structurants se développent avec d’autres communautés, par exemple entre analystes des médias et sciences du langage, entre spécialistes des usages des télécommunications et sociologie, entre théoriciens de la médiation des savoirs et épistémologues; enfin, l’existence de ces disciplines tient aux pratiques et aux institutions plutôt qu’à la décision conceptuelle. Or on sait bien, par le même Foucault (1966, p. 7-16), que les régimes...

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