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Chapitre 3 Le tiers-monde et le développement Juan-Luis Klein Le problème de la pauvreté au plan international a commencé à être une source de préoccupations après la Deuxième Guerre mondiale, et ce souci s’est accru au fur et à mesure que de nouveaux pays en Asie et en Afrique s’intégraient au concert des nations indépendantes, rompant leurs liens avec des métropoles coloniales. Leur autonomie politique a donné à voir l’insuffisance des ressources économiques et des infrastructures dans laquelle le colonialisme a laissé ces pays, ce qui les empêche d’exploiter à leur profit leurs ressources naturelles, pourtant abondantes. C’est dans ce contexte qu’ont émergé les notions de «développement», de «sous-développement» et de «tiers-monde». 92 Le monde dans tous ses États Les pays dits «sous-développés», désignés par l’euphémisme «en voie de développement», se sont mobilisés pour exiger des conditions d’équité et de justice. Cette mobilisation des pays pauvres s’est traduite par une alliance géopolitique qui reçoit le nom de «tiers-monde», ainsi que par une idéologie qui prône une répartition plus juste de la richesse sur la planète, le «tiers-mondisme». La notion de tiers-monde est donc polysémique. Elle désigne tantôt une alliance stratégique et géopolitique entre des pays dits «pauvres», tantôt la réalité socioéconomique des populations pauvres de la planète. Aujourd’hui, l’alliance tiers-mondiste ne constitue plus une force unifiée et les pays qui s’y rattachaient ne sont plus vus comme faisant partie d’un même ­ ensemble. Par ailleurs, dans plusieurs cas, les politiques suivies dans les pays du tiers-monde, souvent inspirées de modèles extérieurs, se sont avérées impropres à leurs réalités, et la corruption des régimes qui les ont appliquées ont empiré la situation de plusieurs pays, comme l’a démontré trop souvent, par exemple, le cas africain (voir le chapitre 14). Ce texte vise à montrer que, si le «tiers-monde» a perdu de sa force en tant qu’alliance stratégique – le contexte bipolaire de guerre froide et de confrontation­ Est-Ouest dans lequel il s’insérait ayant cédé la place à un monde multipolaire et fractionné –, la situation de pauvreté dans laquelle vit une partie des collectivités de la planète n’est aucunement disparue, hélas! La mondialisation a rendu ces collectivités encore plus fragiles car leurs États ont perdu une partie de leurs moyens d’intervention économique. Aussi, un nouveau mouvement internationaliste est-il en train de ­ reprendre leur cause, mais à l’échelle de l’espace-monde: le mouvement altermondialiste (voir le chapitre 2). Ainsi, les revendications tiers-mondistes sont encore tout à fait actuelles, les inégalités internationales étant plus criantes que jamais et la profondeur de l’écart entre les pays les plus pauvres et les plus riches étant presque insondable. Le tiersmonde s’est fracturé mais la pauvreté demeure et s’accroît, comme le montre l’évolution du produit intérieur brut des pays les plus riches et des pays les plus pauvres entre les années 1960 et les années 2000 (figure 3.1). Après avoir décrit l’évolution du tiers-monde en tant qu’alliance géopolitique, nous allons confronter les visions du développement proposées par les milieux occidentaux et par les pays du tiers-monde, pour ensuite analyser le processus de fractionnement du tiers-monde et l’émergence de nouvelles approches au sujet des inégalités et du développement. Pour terminer, nous nous interrogerons sur l’importance de la notion d’«altermondialisation» en tant que perspective tiers-mondiste. [3.141.41.187] Project MUSE (2024-04-26 04:38 GMT) Le tiers-monde et le développement 93 3.1. Les jalons d’une option géopolitique La notion de tiers-monde apparaît dans les années 1950 et se généralise dans les années 1960, au plus fort de la «guerre froide». Ses origines sont journalistiques1, mais elle prend rapidement une connotation géopolitique associée au mouvement revendicatif des pays pauvres. Pour les pays qui s’y rattachent, la notion de tiers-monde exprime le refus de l’alignement aveugle avec les superpuissances de l’époque, soit les États-Unis et l’Union soviétique...

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