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XXIII Le grand instinct d’aller de l’avant les saisit de nouveau. L’inaccessible spectacle qui était contenu dans les profon­ deurs de la forêt exerçait le magnétisme d’un incendie. Il fallait y courir, comme dans un rêve, comme entouré des clameurs d’une foule, porté par le train nocturne d’une route. Hélier promit qu’ils reviendraient par la montagne Tremblante, parce qu’elle avait «de la vue». Au fond de son cœur, il espérait avoir l’occasion d’envoyer un coup de fusil à quelque chevreuil. Il éteignit le feu avec l’eau du torrent, ferma porte et volet. La cabane ne fut plus qu’une pauvre chose noire et penchée qu’ils abandonnaient dans la savane. Après une rude escalade, ils se trouvèrent sur un sommet, au milieu d’un cirque de collines faiblement boisées, emboîtées les unes dans les autres. L’esprit se sentait enfermé en elles ainsi que dans un anneau magique. Julienne frissonna à l’idée qu’elle pourrait se trouver seule en ces lieux. L’absence de l’homme était plus obsédante que sa présence, plus troublante que l’inextricable forêt. C’était la terreur qu’on avait de se perdre qui rendait celle-ci tragique. [ 194 ] HÉLIER, FILS DES BOIS À leurs pieds, s’étendait une vallée où courait une rivière bordée de pins. Il semblait qu’on eût laissé la forêt dans les bas-fonds: on ne sentait plus son poids sur la poitrine et on respirait mieux. – Ah! que c’est beau, Hélier, que c’est grand! murmuraitelle avec son léger balbutiement. Il regarda la jeune fille. Lui n’était pas habitué à mettre en paroles ce qu’il ressentait. Mais il fut heureux qu’elle s’exprimât à sa place. Son exclamation se répéta en lui en longs échos, lui causant de la surprise, de la fierté et un religieux plaisir. Il n’y avait pas meilleur endroit pour guetter le chevreuil. Seulement, il fallait de la patience, et surtout ne pas faire un mouvement. Julienne s’assit, adossée à un roc. Lui se plaça en contre-bas, posa son fusil en travers de ses genoux et alluma sa pipe. Quelques buissons de dog-wood dissimulaient leur présence. L’ombre des larges feuilles palpitait à terre comme­ quelque chose d’animal, une ombre plus dense, plus vivante que les feuilles mêmes, coureuse de sol. Il n’y avait pas besoin de recommander le silence et l’immobilit é. Ils s’imposaient. On était là au milieu de l’éternel, et on prenait d’instinct la seule attitude qui convînt. La solitude flottait au-dessus de la vallée dans un étirement d’une fluidité soyeuse. On se sentait au milieu de richesses accumulées, indéfinies , et on tâchait que l’âme s’épanouît le plus possible pour en recueillir quelques bribes. Julienne tendit ses mains au soleil d’automne qui faisait penser à un feu pâle et léger allumé entre les branches. [52.14.130.13] Project MUSE (2024-04-26 07:38 GMT) [ 195 ] HÉLIER, FILS DES BOIS Elle regardait attentivement, par-dessus la vallée, la colline qui leur faisait face. Il assurait que de l’endroit où ils se tenaient, il avait souvent tué des chevreuils à cette distance. Et elle espérait en voir tout d’un coup filer un, comme une traînée de vent roux, pattes agiles et robe fauve, à peine discernable des rochers. D’après lui, un chasseur était seul capable de reconnaître un chevreuil de si loin. Elle ne savait plus depuis combien de temps ils étaient là. Elle constata avec intérêt que l’ennui ne venait pas. Elle était comme la barque ancrée que la houle soulève. Il y avait par-­ dessous son immobilité un flot d’étranges richesses. Elle remarqua avec amusement que son compagnon mettait un doigt sur sa bouche chaque fois qu’elle ébauchait une question, mais que lui rompait le silence, de loin en loin, à son gré. Il se pré­ occupait surtout de savoir si elle n’avait pas froid. Des coups de feu successifs retentirent en arrière de la montagne . Il fut sur pied d’un bond. Ses yeux noirs brillèrent d’une lueur aiguë. – Ah ! dit-il, ils sont après un chevreux. Mais...

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