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CHAPITRE 14 L’expérience d’une vision au Saguenay– Lac-Saint-Jean Pour une collectivité territoriale, la conception d’une vision globale s’inscrit comme la première étape incontournable du processus de planification et d’organisation. Il en est ainsi depuis très longtemps. Des modèles généraux s’offrent alors aux planificateurs et organisateurs . L’histoire nous a légué de magnifiques fresques visionnaires, de la République de Platon au Phalanstère de Fourier (1829) en passant par les propositions de Owen (1836) et autres Cabet (1840). Pour ces visionnaires, il s’agissait alors de concevoir une représentation en substance de la communauté idéale afin de proposer un changement global de la réalité territoriale en fonction de principes, de valeurs et de finalités. À partir du xxe siècle, le processus de vision territoriale est devenu plus pragmatique, plus appliqué et ainsi davantage concerné par la procédure articulée pouvant permettre de mieux gérer la réalité territoriale en l’améliorant. La cité-jardin de Howard (1898), la cité industrielle de Garnier (1917) et la culture des cités de Mumford (1938) illustrent parfaitement ce virage procédural qui a lancé et soutenu le mouvement contemporain d’élaboration concrète d’une vision territoriale. La discipline académique de la planification urbaine et régionale émergea. La vision territoriale est devenue bien structurée, très crédible et de plus en plus universellement utilisée. Tout en offrant une réflexion essentielle sur les finalités, elle permet désormais d’observer en détail l’état réel des forces, des faiblesses, des menaces, des nouvelles possibilit és et des contraintes dans le territoire. L’élaboration de scénarios prospectifs de l’avenir est aussi devenue une composante intégrale 370 Territoires et développement (Camhis, 1979), si l’on veut pondérer et comparer les objectifs et les options au-delà de l’horizon immédiat. Ainsi, la mise en œuvre d’une vision globale fait désormais partie des outils du développement territorial, notamment lorsque le processus se fixe un objectif temporel . Au fil des gains méthodologiques, l’élaboration de la vision territoriale devint sophistiquée, s’appuyant non seulement sur les valeurs et finalités pour déduire des options territoriales, mais aussi sur le portrait global du territoire et sur l’analyse critique de la situation afin d’induire des objectifs opérationnels. Dans le Saguenay–Lac-Saint-Jean, la vision en matière de communauté idéale s’avère bien ancrée dans l’histoire. Elle fut transmise aux explorateurs européens du xviie siècle par les Amérindiens sous la forme du mythe du vaste royaume du Saguenay intérieur, encastré entre le Labrador, les Laurentides, le Bouclier canadien et le Saint-Laurent (Tremblay, 2005). Son nom signifiant le «pays d’où l’eau jaillit», le Saguenay représentait à cette époque un immense territoire. Les coureurs des bois sont alors venus vérifier le contenu de cette image évocatrice, sinon d’un eldorado, du moins d’un pays fabuleux et facile d’accès grâce aux nombreux cours d’eau, y compris la rivière Saguenay. Ils y ont tracé la «route des fourrures» pour en tirer cette richesse rapidement exploitable. Par la suite, 21 pionniers colonisateurs sont venus, en 1838, dans ce royaume afin d’y réaliser de très grandes ambitions visionnaires. Avec des idéaux, certes, mais tout de même réalistes, le modèle préconisé pour l’appropriation des ressources forestières fut rapidement adapté de manière pragmatique à la réalité du marché. La vision mythique du territoire du Saguenay fut fertilisée aussi par l’idéalisme des premiers industriels du début du xxe siècle. Ayant à l’esprit l’objectif bien ciblé de créer au Saguenay une zone de production à l’image de celles qui émergeaient à cette époque dans le Nord-Est des États-Unis, des entrepreneurs visionnaires, intrépides et pragmatiques tels que Dubuc, Guay et Jalbert furent alors désignés au Québec comme les «Américains du Saguenay» (Bouchard, 1977). Un peu plus tard, Dukes, le magnat américain du tabac, a eu aussi sa vision grandiose en remontant à pied la rivière du Saguenay jusqu’au pied de la chute Isle-Maligne. Il projeta alors l’harnachement du lac Piékouagami (Saint-Jean) qu’il réalisa non...

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