Territoires et développement: La richesse du Québec

Chapitre 11 - Les trajectoires économiques territoriales

CHAPITRE 11 Les trajectoires économiques territoriales1 La lecture attentive de l’évolution de l’économie des divers territoires qui composent le vaste espace québécois fait rapidement apparaître des ruptures bien distinctes. La plus visible de ces ruptures économiques territoriales est sans doute le déclin subit de la MoyenneC ôte-Nord au début des années 1980, après un démarrage fulgurant dans les années 1950 et 1960. Cette rupture coïncide par ailleurs avec celle de la Beauce qui, à la même époque, illustrait a contrario un dynamisme industriel fortement marqué par rapport à son passé récent. Ici comme là, la trajectoire économique n’est pas synchrone sur une longue période. Des cycles relativement longs apparaissent clairement. On serait ainsi porté à faire l’hypothèse de la diachronie de l’évolution des économies territoriales au Québec. De longueur et de hauteur variables, ces cycles généralement de nature structurelle n’affectent pas toutes les économies territoriales en même temps. Chaque territoire qui compose le Québec semble posséder sa trajectoire propre par laquelle des transformations majeures caractérisent sa structure économique en la propulsant positivement ou négativement vers un nouveau cycle (Proulx, 1998). À titre d’exemple, l’arrivée massive de capitaux britanniques dans l’industrie du bois d’œuvre à partir du début du xixe siècle a engendré d’une manière positive une rupture économique qui n’affecta cependant pas tous les territoires au même degré, au même moment ni 1. Bien que totalement réorganisé, le contenu de ce chapitre est largement inspiré par celui du chapitre 10 de mon ouvrage L’économie des territoires au Québec, publié aux Presses de l’Université du Québec en 2002. 298 Territoires et développement pendant la même durée. Plus près de nous, les importants changements structurels vécus actuellement sous l’impulsion des technologies informationnelles provoquent aussi un nouveau cycle pour les économies territoriales qui réagissent chacune à leur manière selon leur base économique initiale, leur secteur d’activité, leur distance des grands marchés et autres facteurs. Ces trajectoires territoriales représentent une question de recherche très pertinente non seulement pour mieux comprendre la situation actuelle et anticiper le futur, mais aussi pour mieux guider les interventions publiques dans un esprit de régulation économique. Le but de ce chapitre est donc de mieux saisir et de modéliser, d’une manière comparative, les divers cycles qui caractérisent l’évolution économique de plusieurs territoires qui composent l’espace du Québec. 11.1. Le mOdèLe de rOstOW Pour mieux comprendre le phénomène des cycles non conjoncturels qui caractérisent les structures économiques, la science économique offre quelques modèles explicatifs des trajectoires sur une longue période. Généralement considéré comme l’initiateur au début du xxe siècle de cette modélisation, l’économiste Kondratiev offre une analyse scientifique des principales caractéristiques qui déterminent les grands cycles de l’histoire universelle (Axinn, 1977; Stöhr, 1981). Selon lui, les ruptures structurelles sont provoquées par des facteurs sociaux, culturels, politiques, économiques, institutionnels, notamment par l’apparition d’une innovation majeure (roue, imprimerie, rail, moteur à explosion, technologies informationnelles) qui propulse l’économie dans une longue période de croissance et de développement , découpée ensuite par des cycles conjoncturels. Par l’épuisement de la source initiale de croissance économique, le cycle structurel en arrive, au fil du temps, à décliner jusqu’à un certain seuil, avant de repartir à la hausse par suite d’une autre impulsion forte. Selon cette analyse, les cycles de développement par le haut et les contre-cycles de développement par le bas s’alternent dans l’évolution des économies. L’approche par les cycles longs fut reprise par les économistes, notamment après la rupture radicale presque universelle de 1929. Par exemple, Schumpeter (1939) orienta son analyse sur le déterminant spécifique du progrès technique et reconnut à l’entrepreneur un rôle considérable dans son actualisation. Mais la plus connue de Les trajectoires économiques territoriales 299 ces modélisations des grands cycles structurels est sans conteste celle qu’exposa Walter W. Rostow à la fin des années 1950. Nous avons traité cet apport important au chapitre précédent en illustrant bien (figure...