In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

RENOUVELLEMENT DE L’ÉCRITURE… OU DU LIVRE? Roch Côté LIVRE ET BELLES-LETTRES 54 La révolution Internet C’était inévitable. Après Wikipedia, l’encyclopédie numérique qui se crée avec la collaboration des internautes, la tentation de la wikilittérature allait être irrésistible. L’objectif: aboutir à un roman écrit par «le peuple», c’est-à-dire par des centaines, voire des milliers de mains. People, c’est le titre justement de l’une de ces tentatives, lancée en novembre 2008 par PRLog, un site de diffusion de communiqués de presse1. Les internautes sont invités à soumettre un paragraphe, voire un chapitre d’une œuvre en construction qui est décrite au départ comme étant «l’histoire de gens qui se heurtent les uns aux autres, se combattent, mais qui cherchent la reconnaissance mutuelle, l’amitié et l’amour». Pour l’originalité du thème, on repassera! Si l’expérience est un succès, affirment les responsables du projet, «il pourrait s’agir d’un nouveau chapitre dans l’histoire de la fiction moderne et d’un modèle de référence pour de nombreuses et futures entreprises de ce genre2 ». Une véritable renaissance de la littérature, en somme. Cela reste à voir, mais pour les éditions britanniques Penguin, c’est déjà vu: l’expérience de «wikiroman» (A Million Penguins) qu’ils ont menée en 2007 avec quelque 1 500 internautes n’a pas abouti à la révolution promise3. La critique, en tout cas, n’a pas apprécié. Il semble bien que le wikiroman n’ait pas encore dépassé le stade de la définition humoristique du chameau: c’est un cheval dessiné par un comité. Si l’idée de l’œuvre littéraire collective n’a pas encore été validée par des résultats probants, des auteurs n’hésitent pas, par contre, à miser sur les possibilités qu’offre le Web dans la création d’un récit dont ils gardent la maîtrise. Collaboration oui, mais pas trop! Un exemple parmi de nombreux autres: celui de l’Américain Walter Kirn (auteur, entre autres, de Pouce! chez Albin Michel) qui a réalisé en 2006 une expérience de roman-feuilleton (The Unbinding) sur le site du magazine en ligne Slate4. Après la publication d’un épisode , l’auteur recevait des commentaires et des suggestions de ses lecteurs. Décrivant plus tard cette expérience sur le site de Slate, Kirn avoue avoir sollicité l’opinion de certains d’entre eux sur la suite à donner à son récit. «Cela a créé, écrit-il, une sorte d’atelier flottant autour du livre en chantier, un cercle de critiques et de collaborateurs 1. . 2. Ibid. 3. . 4. . [18.217.116.183] Project MUSE (2024-04-26 10:50 GMT) Livre et belles-lettres 55 qui en ont imperceptiblement influencé le cours avec leurs suggestions5 .» Certains correspondants de Kirn, parmi les plus avisés, sont même devenus des auteurs de lettres adressées au héros du roman et intégrées dans l’œuvre en cours de rédaction. Il ne faut pas croire cependant que l’intervention des lecteurs dans une œuvre en cours de publication est un phénomène apparu avec la cyberlittérature. Dans son Histoire du roman populaire en France, Yves Olivier-Martin signale le cas, parmi d’autres, d’Eugène Sue qui, sous la pression des lecteurs de son feuilleton, modifie le sort d’un des personnages de ses Mystères de Paris. «Roman des lecteurs autant sinon plus que roman de l’auteur», écrit Olivier-Martin à propos de cette œuvre qui connut un «succès inouï» pendant les deux années de sa publication en 1842-18436. Dans son étude sur le roman-feuilleton français au XIXe siècle, Lise Queffélec relève également cette caractéristique du roman populaire mais précise que «les modifications en cours d’œuvres pour répondre aux désirs du lecteur sont plutôt des exceptions.» Le feuilletoniste, en général, reste le seul maître de ses personnages et c’est de façon indirecte que s’exerce la pression du public. Le roman populaire, relèvet -elle, reflète donc «un certain conformisme moral et esthétique7 ». Sans doute est-ce le sort qui attend également le genre wikiroman qui tire profit d’une technique qu’Eugène...

Share