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la construction des amériques aujourd’hui 222 ISBN฀978-2-7605-2349-4฀•฀D2348N annoncent la «renaissance» des villes, devenues les grands carrefours des échanges économiques, les lieux de concentration du pouvoir politique et les pôles de la mondialisation, il reste que l’État demeure le centre décisionnel et l’espace institutionnel où s’articule l’organisation sociale, où s’exprime la technocratie régulatrice. Mais quand l’État se désagrège ou qu’il apparaît «absent» ou impuissant , qu’advient-il de la société? Comment se réalise, à l’aube du xxie siècle, la construction si nécessaire de la cité qui garantit la survie et le développement d’un groupe humain? Que se passe-t-il chez ceux et celles qui sont laissés à eux-mêmes, sans organisation supérieure, sans technocratie qui dicte les règles et assure le fonctionnement du système urbain? Une partie de la réponse se trouve peut-être au cœur des milieux urbains les plus pauvres et les plus délaissés des Amériques: les bidonvilles, les slums, les favelas. Parmi ceux-ci, les quartiers précaires de Port-au-Prince, en Haïti, abritent depuis des décennies une population abandonnée par un État au mieux indifférent, au pire prédateur, mais surtout un État faible et sans ressource. Si le regard souvent posé sur ces enclaves de pauvreté et d’extrême pauvreté amène à conclure, un peu rapidement, à l’anarchie comme mode d’organisation sociale et au chaos comme image prédominante de celle-ci, une analyse plus attentive nous invite à une tout autre conclusion: celle où l’on voit émerger, malgré des ressources faibles et des obstacles inimaginables, de nouveaux et originaux constructeurs d’une véritable cité. À partir de visites et d’observations dans une douzaine de bidonvilles de Port-au-Prince, d’enquêtes auprès d’une soixantaine de ménages et d’une trentaine d’associations et organismes, de rencontres auprès de différents intervenants (ONG, ambassades, représentants de l’État, etc.), le tout réalisé entre 1999 et 2005, la recherche qui est à l’origine de ce texte a permis d’explorer l’univers des bidonvilles de Port-au-Prince, d’en constater l’étonnante complexité et surtout de poser un autre regard sur un monde qui demeure méconnu et victime de bien des préjugés. une viLLe à La DéRive Dans un Pays en cRise Port-au-Prince est la capitale politique et la métropole économique d’Haïti. On estime sa population, en 2006, à environ 2,3 millions de personnes, soit 28% de la population haïtienne qui compte un peu plus de 8 millions d’habitants. À ce nombre, il faut ajouter une diaspora de quelque 2 millions d’Haïtiens d’origine (un nombre qui varie selon les sources), dont peut-être [3.138.124.40] Project MUSE (2024-04-26 17:05 GMT) les nouveaux bâtisseurs de la cité dans l’amérique des pauvres 223 ISBN฀978-2-7605-2349-4฀•฀D2348N un million en République dominicaine, le pays voisin qui partage l’île d’Hispanola avec Haïti, et quelque 500 000 aux États-Unis, principalement en Floride. Haïti est le pays le plus pauvre des Amériques et le plus pauvre de l’hémisphère Nord de la planète. Sa population est très majoritairement noire, créole et francophone. Il s’agit aussi de la première république«nègre» de l’histoire, créée en 1804 et issue de la révolte des esclaves. Ceux-ci provenaient d’une population arrachée brutalement à leur terre africaine pour servir de main-d’œuvre dans les plantations sucrières, caféières et autres dans cette colonie française des Caraïbes. Après la fondation de la nouvelle république, le pays est demeuré largement rural avec une population paysanne disséminée dans une foule de petits villages et hameaux, souvent sous la forme d’un regroupement familial de quelques maisons autour de la maison du patriarche: le lakou, la forme classique du système rural haïtien. Les villes constituaient des centres institutionnels, financiers et commerciaux, des lieux de résidence de l’élite haïtienne et d’une classe moyenne naissante, alors que les déplacements internes de population demeuraient soumis à certains contrôles politiques jusqu’au...

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