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La troisième génération de l’État-providence1 , Jacques T. Godbout Introduction L’activité de la société est en raison inverse de l’activité de l’État », affirme un historien français cité par Durkheim (1975 : 240). À observer ce qui s’est passé dans les sociétés modernes les plus étatisées — les peuples de l’ex-URSS — et à constater les difficultés qu’elles connaissent à réanimer leurs réseaux sociaux, on est tenté, au-delà de l’exagération de la formule, de lui accorder une part de vérité. Comme si l’État avait une propension inéluctable à vider la société de son énergie, de ses réseaux, de sa substantifique moelle. Et cela est compréhensible. Car d’un certain point de vue, l’État est dans un rapport d’extériorité vis-à-vis de la société. C’est un monde à part2 , avec ses règles si bien décrites et analysées par Weber. L’État est un appareil, alors que la société tend à fonctionner comme un ensemble de réseaux. Appareil et réseau Ces deux modèles, tout en étant simplificateurs, me semblent constituer des idéals types féconds pour conceptualiser les rapports actuels entre l’État et la 1. Quelques passages de ce texte sont tirés de Godbout et Charbonneau (1994). 2. L’État est fondé sur la rupture moderne, comme le marché, mais avec la différence que le marché est modeste face aux valeurs, alors que l’État a des prétentions à la définition scientifique des valeurs. 236 Contre l’exclusion : repenser l’économie société. Lemieux définit ainsi le concept d’appareil : « Les appareils sont des rassemblements d’acteurs sociaux organisés spécifiquement pour des fins de régulations externes des publics » (Lemieux, Joubert et Fortin, 1981 : 1). La caractéristique première de l’appareil que retient une telle définition est donc celle d’avoir un public, c’est-à-dire un ensemble d’individus qui entretiennent un rapport d’extériorité par rapport à l’organisation, sans lui être complètement étranger. Il y a donc à la base du fonctionnement de tout appareil une rupture entre un extérieur qu’on appelle un public et un intérieur qui constitue l’appareil proprement dit. Tout appareil consacre d’ailleurs une proportion importante de son énergie à gérer ses rapports entre l’intérieur et l’extérieur, rapports en état de tension perpétuelle3 . On peut caractériser ce mode de fonctionnement en disant que les appareils sont hétérorégulés ou hétéronomes dans leur principe même. Ils sont fondés sur la dualité, sur un fossé entre eux et ceux pour qui ils existent théoriquement : leur public. À l’inverse, les réseaux n’ont tout simplement pas de public. C’est la différence principale, d’où découlent toutes les autres. Cette notion de public extérieur est étrangère au monde des réseaux. Le public n’est pas membre de l’organisation qui le dessert. Cette rupture, au centre du fonctionnement d’un appareil, n’existe pas dans l’univers des réseaux. Les réseaux désignent un processus de régulation qui s’adresse à un ensemble de membres. C’est pourquoi on peut dire que le mode de fonctionnement d’un réseau, c’est l’autorégulation. Il n’a pas pour raison d’être la régulation d’une entité extérieure à lui — un public —, mais des membres, c’est-à-dire des individus qui font partie d’un même ensemble, de l’ensemble que le réseau désigne : on pense à la famille, mais aussi à toute une panoplie de réseaux sociaux d’amis, ou d’associations comme les groupes d’entraide, jusqu’aux réseaux beaucoup plus flous et caractérisés par des liens faibles (Granovetter, 1983). De là découle tout un ensemble de caractéristiques propres aux appareils et aux réseaux. Pour les appareils : méta-régulation, hiérarchie linéaire, faible redondance entre les éléments, frontière rigide, perspective généralisante, neutre, extérieure, froide, évaluation et contrôle rationnels quantitatifs, abstraits. On retrouve ici plusieurs des traits de l’idéal type wébérien de la bureaucratie. Inversement, les réseaux ont plutôt tendance à s’autoréguler, à se caractériser par une hiérarchie non linéaire que Hofstadter...

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