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LE SOCIALISME AFRICAIN : FONDEMENTS ET FAIBLESSES Maurice Honoré M’BEKO Les années cinquante ont été pour les peuples africains, non seulement une période d’effervescence politique dominée par la montée inexorable du nationalisme, mais aussi une période de grands bouleversements dans les domaines de la pensée, des arts, de la religion, des relations sociales. À cette époque historique s’ouvrirent en effet les grands débats idéologiques sur l’avenir de l’Afrique ; Les pays africains devaient-ils s’enfoncer dans le micronationalisme ? Devaient-ils se libérer de l’aliénation culturelle ou se laisser façonner au moule de la culture occidentale sous prétexte de modernisme ? Devraient-ils rejeter l’ancien colonialisme au profit d’une nouvelle forme de colonialisme (appelée néocolonialisme) plus subtil mais non moins opprimant que le premier, ou devraient-ils lutter pour une indépendance réelle ? Comment devait-on sortir le continent du sous-développement ? Ou encore devait-on se doter d’un système économique capitaliste, socialiste ou d’un autre système, différent des deux premiers ? Telles sont les questions qui furent au centre des préoccupations des libérateurs de l’Afrique depuis N’Krumah jusqu’à Nyéréré en passant par Ben-Bella, Modibo Keita, Sekou-Touré, Senghor et Boganda. Les révolutions africaines des années 1960, même si elles ont inscrit une page d’or dans l’histoire de l’humanité d’après-guerre, n’ont pas apporté jusqu’à aujourd’hui de réponses concrètes et satisfaisantes aux grandes questions qui se sont posées il y a déjà plus d’un quart de siècle. Les questions de l’époque sont encore aujourd’hui d’une actualité brûlante dans une Afrique néo-coloniale où se développent autant le sous-développement que la prise de conscience des masses populaires quotidiennement soumises à de nouvelles formes d’exploitation et de domination. L’objet du présent texte n’est ni de répondre à toutes ces interrogations, ni de confronter les différentes théories jusqu’alors échafaudées. Notre objectif est simple, celui de faire le point sur la question du développement en Afrique à la lumière de la théorie du « socialisme africain » en essayant de définir au préalable les fondements de ce socialisme dans 316 UN SIÈCLE DE MARXISME une perspective comparative avec le socialisme scientifique de Karl Marx. LE SOCIALISME AFRICAIN ; DÉFINITION ET FONDEMENTS Nombreux sont les économistes et hommes politiques africains et sympathisants qui croyaient et qui croient encore aujourd’hui que l’Afrique indépendante devait opter pour sa propre voie de développement socio-économique. Cette voie, appelée par les uns« troisième voie », par les autres « voie africaine du socialisme » ou encore « socialisme africain », exige non seulement le rejet du capitalisme occidental, mais aussi une rupture idéologique avec les socialismes du centre qu’ils soient marxistes-léninistes ou social-démocrates. En effet, le socialisme africain, contrairement au marxisme, trouve son assise doctrinale dans une certaine idée d’un retour aux traditions. Cette volonté d’un retour au passé constitue la pierre de touche des porte-parole du socialisme africain. Ainsi, l’abbé Kanouté définissait ce socialisme de la manière suivante ; Quand [...] les Africains parlent du socialisme africain, il ne s’agit pas de prolonger Bouddah, Jaurès ou Karl Marx. Il s’agit d’un retour aux sources : non point adapter le socialisme en Afrique, mais moderniser le collectivisme traditionnel, dans le respect de nos valeurs humaines et spirituelles en s’inspirant de la technique des autres1 . Le président Ahmadou Ahidjo, à l’époque où il se réclamait encore du socialisme, avait défini avec clarté le fondement du socialisme africain. Notre socialisme, le socialisme africain, se veut syncrétique parce qu’il emprunte de l’extérieur ses techniques pour les greffer sur notre propre héritage, défini par son sens communautaire , son respect des valeurs spirituelles et la place centrale qu’il donne à l’homme en toutes occasions2 . Ainsi défini, le socialisme africain apparaît non pas comme un simple prolongement du socialisme européen ou une projection du marxisme-léninisme sur les réalités africaines, mais plutôt comme l’expression d’un retour aux valeurs africaines traditionnelles, en tenant compte du contexte socio-économique moderne. Or cette volonté infaillible d’un retour...

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