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Vers la modernité L’impact de la figure de l’étranger dans la littérature québécoise Jean-Pierre Thomas Université York (campus Glendon) Résumé Le passage d’un mode de vie traditionnel à une modernité longtemps différée s’est opéré au Québec par à-coups, ce que rapporte la littérature écrite entre le milieu du XIXe siècle et le milieu du XXe . L’étranger, catalyseur de transgression, s’y retrouve à pleines pages et, fort des différences qui le caractérisent, il convie à une remise en question de l’identité du groupe communautaire. De Maria Chapdelaine aux Demi-civilisés, notamment, il occupe un rôle toujours davantage prégnant et son action, d’abord entravée par des figures tutélaires, acquiert bientôt une portée menaçante: incitant à la désobéissance, au questionnement des valeurs traditionnelles, l’étranger entraîne l’éclatement de la cellule familiale et ouvre le groupe à la nouveauté. D’abord extérieur au cercle communautaire, il s’immisce dans celui-ci, l’envahit, pour se transformer peu à peu en étranger de l’intérieur , de sorte que le même devient l’autre et que le caractère inquiétant de l’altérité s’atténue, phénomène qui ouvrira éventuellement la voie à la modernité. 246 Le Québec à l’aube du nouveau millénaire Si l’on en croit certains historiens et critiques littéraires, l’histoire du peuple québécois serait celle d’une quête d’identité. Selon Gérard Bouchard, le Québec, pris dans un processus de constante redéfinition de ses points de repère, a de tout temps été opposé à des instances qui, en semant «l’insécurité dans la population […, ont favorisé] une prise de conscience propre à y fortifier le sentiment identitaire» (Bouchard, 2001, p. 92). Cela dit, on peut se demander comment un groupe communautaire détermine son identité quand il est continuellement confronté à l’altérité, quand, comme c’est le cas du Québec aux xixe et xxe siècles, l’étranger, qu’il soit ethnique ou qu’il provienne du sein même de la communauté, le cerne de partout. Y a-t-il moyen pour un peuple de se définir de l’intérieur, en se coupant de l’autre, ou lui faut-il impérativement incorporer cet autre dans sa tentative de définition de lui-même? Si Denis Jeffrey a raison de supposer que «[l]e problème capital du xxe siècle semble être celui de la rencontre et du métissage des “différences”» (Jeffrey, 1998, p. 21), l’on devra convenir que l’autonomie s’obtiendra par l’intermédiaire de l’altérité, ce qui transparaît dans la problématique soulevée par plusieurs romans publiés à partir du milieu du xixe siècle et tout au long du xxe . La figure de l’étranger s’y retrouve à pleines pages et elle force une remise en question de l’identité de la communauté. Je montrerai ici, au cours d’un bref survol de certaines productions littéraires influentes, comment les différences qui surgissent de pair avec la présence de l’étranger favorisent le passage d’un mode de vie traditionnel à une modernité longtemps différée, et de quel nouveau visage ces différences nantissent la culture québécoise. Cette transformation s’est opérée par à-coups, ce que rapporte la littérature écrite à l’époque, et l’étranger y tient un rôle de catalyseur de transgression et de promoteur de modernité. 1. L’étranger: vecteur de métamorphoses Mais qui est l’étranger, faut-il d’abord se demander? Quels traits spécifient cette figure? Instance provenant de l’extérieur du cercle formé par une communauté, l’étranger s’immisce généralement dans la réalité de celle-ci et en secoue les assises, puis il se transforme peu à peu en étranger de l’intérieur, de sorte que le même devient l’autre et que les différences dont il est porteur se résorbent dans une synthèse plus ou moins convaincante selon le cas. En tant qu’éveilleur de la conscience, il provoque souvent un retour de l’étrangeté refoulée. La crainte devant le changement compte parmi les émotions refoulées, car qui dit changement dit perte d’identité et, sans identité, individu et groupe perdent leurs...

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