Les autoroutes de l'information: Un produit de la convergence

La convergence des techniques assure-t-elle la convergence sociale ?

La convergence des techniques assure-t-elle la convergence sociale ? Gilles WILLETT Professeur Département d’Information et de Communication Université Laval INTRODUCTION Depuis le télégraphe électrique, l’invention et la convergence ininterrompues de terminaux, de systèmes et de réseaux de télécommunication ont provoqué une rupture dans la trame de l’évolution historique du fonctionnement des sociétés. Cette rupture paraît tout aussi importante que celle résultant de l’invention de l’écriture. Aujourd’hui, l’état du monde est en partie déterminé par les centaines de milliers d’interactions qui ont lieu par l’intermédiaire des différents terminaux et réseaux de télécommunication. À chaque seconde, ces interactions électroniques, entre des individus ou entre des machines, rythment les transactions qui tissent la toile de fond des décisions prises à travers le monde. Nous sommes aussi témoins, à chaque seconde, des événements que les responsables des moyens de diffusion portent à notre attention. L’insertion sociale des nouvelles technologies de télécommunication semble s’appuyer sur l’effet d’entraînement de mythes et de métaphores qui structurent de plus en plus la pensée et l’action, dans un contexte d’incertitude créé par la rupture des modes de fonctionnement individuels et sociaux. De plus, les nouvelles technologies s’opposent au temps biologique et à celui de la réflexion. Elles constituent aussi l’enjeu majeur de la restructuration et du fonctionnement des sociétés. 478 Gilles Willett Il importe donc, dans un tel contexte, de s’interroger sur notre rapport aux mythes et aux métaphores, sur notre rapport à soi en tant qu’usager des technologies, sur notre rapport aux autres, sur notre rapport au temps et à l’espace et, enfin, sur les analphabètes et sur les technophobes. 1. BREF RETOUR SUR LE PASSÉ Le passage de l’oralité à l’écriture fut l’une des ruptures importantes au cours de l’histoire de la civilisation humaine. Cette transformation fut longue et complexe. Depuis les premières techniques de pictogrammes, tels les signes cunéiformes des Sumériens ou les hiéroglyphes égyptiens ou les idéogrammes chinois, jusqu’à l’alphabet grec, il aura fallu plusieurs millénaires pour simplifier les codes de représentation écrite de la réalité. Ce temps fut nécessaire pour passer d’environ 20 000 pictogrammes aux 26 signes de l’alphabet latin permettant de traduire des idées et des sons en mots écrits. Cette simplification des codes fut accompagnée d’une croissance de la complexité des manières de penser et d’agir de l’être humain. C’est comme si ce dernier avait recherché, tout au moins intuitivement, à reproduire le fait que son propre système génétique est source infinie de variétés, même s’il fonctionne avec une économie d’éléments fondamentaux, les cinq ADN. Aujourd’hui, nous considérons que les signes de l’écriture ont été créateurs de certitudes pour désigner et représenter des objets, des idées et des concepts. Ils furent à l’origine d’un nouveau contexte permettant de dissocier le sujet de l’objet et, nouvelle situation fascinante, de rendre visible des sons, des mots, des concepts et des idées. Ils furent aussi codificateurs de la réalité, transformateurs des structures mentales et organisateurs de la vie collective. Ils permirent la structuration des bases d’un consensus quant à la signification et au sens des réalités représentées. Après avoir été l’un des privilèges des élites religieuses et politiques, l’écriture et la lecture devinrent des outils indispensables aux marchands. La croissance de la complexité des idées et du fonctionnement social rendit essentiel l’apprentissage de l’écriture et de la lecture. Avec le temps, cet apprentissage fut de plus en plus rapide et de moins en moins magique. La transmission de la totalité des connaissances n’était plus nécessaire. Il suffisait de transmettre le code d’accès aux connaissances. Les pratiques de l’écriture et de la lecture, une fois acquises, rendaient l’individu capable de découvrir et de saisir différentes connaissances et même d’en élaborer de nouvelles. De plus, elles permettaient l’émergence et le maintien de nouvelles formes d’organisation de la pensée et de la société. La convergence...