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C H A P I T R E 9 ENTRE LE PSY ET L’ASSISTANTE SOCIALE Où mène la prescription d’antidépresseurs en médecine générale quand la souffrance se fait sociale? Claudie Haxaire Université de Bretagne occidentale et Centre de recherche psychotropes, Santé mentale, Société (CESAMES) Philippe Genest Centre hospitalier universitaire de l’Université de Bretagne occidentale Pierre Bodénez Centre hospitalier universitaire de l’Université de Bretagne occidentale Carole Noumbissi-Nana Université de Bretagne occidentale Philippe Bail Université de Bretagne occidentale Tant l’approche de l’anthropologie du médicament (Van der Geest et al., 1996) que les approches constructivistes sur les mêmes objets (Cohen et al., 2001) prennent en compte le fait que le médicament est, pour les acteurs qui le manipulent, bien plus qu’un produit issu de la recherche biologique. Si les normes de bon usage évoluent au rythme de l’évolution des sciences médicales et de la découverte de nouvelles molécules, la pharmacopée 198 LE MÉDICAMENT AU CŒUR DE LA SOCIALITÉ CONTEMPORAINE faisant système, ce que Dagognet (1964) en son temps avait bien analysé, les auteurs cités montrent que le système médicament est lui-même soumis aux influences et aux évolutions qui traversent l’ensemble de la société. Les médicaments psychotropes plus que d’autres en sont un bon exemple. Ils constituent pour les consommateurs une catégorie particulière, celle des remèdes «pour les nerfs», c’est-à-dire de ce qui, en France, vaut le langage de la détresse (Haxaire, 2005). La « dépression », modalité d’expression de l’individualité contemporaine (Ehrenberg, 1998), est devenue l’étiquette générique de détresses que les individus et leur entourage ne contiennent plus. Au-delà se dessinent actuellement les contours d’une nouvelle entité, la souffrance psychique (SP), entendue psychosociale (Lazarus et al., 1995), dont serait potentiellement porteuse une bonne part des consultations de médecine générale. En effet, le couple souffrance psychique / santé mentale, qui, selon Ehrenberg (2004), symbolise les bouleversements qu’a connus la psychiatrie depuis les années 1970, c’est-à-dire l’élargissement tant des questions qu’elle traite que des acteurs impliqués, ne peut que trouver une expression spécifique dans l’exercice des médecins de première intention que sont les généralistes. En Bretagne, où se sont déroulées les études faisant l’objet de cet article, l’importance des dépenses de santé en médecine générale fait de la souffrance psychique un problème de santé publique du fait des caractéristiques propres de cette région (suicidalité, alcoolisme, chômage dans certains secteurs, etc.). En France, la croissance annuelle des ventes d’antidépresseurs en général a tendance à croître. Depuis les années 1990 nous assistons à la généralisation de l’usage des nouveaux antidépresseurs (IRS) dont les indications deviennent de plus en plus larges. Après avoir été préconisés pour les troubles anxiodépressifs, ils sont désormais recommandés pour les anxiétés sociales caractérisées, les phobies sociales, les anxiétés généralis ées… Ils participent à l’augmentation de la fréquence des prescriptions au long cours (Le Moigne et al., 2005). La banalisation des antidépresseurs de nouvelle génération fait écho à la montée de la souffrance psychique comme entité justifiant la médicalisation de problèmes sociaux que prennent en charge les médecins généralistes. Ces problèmes sont, pour ces médecins, référés à la nébuleuse de ceux qu’ils nomment patients« psy », pour « psychiatriques », alors que ces derniers ne relèvent pas nécessairement, loin s’en faut, d’une prise en charge spécialisée de ce type. Il est bien difficile de déterminer si l’étiquette « psy » se trouve induite par les outils thérapeutiques à disposition ou était préalable à leur [3.12.36.30] Project MUSE (2024-04-26 05:01 GMT) ENTRE LE PSY ET L’ASSISTANTE SOCIALE 199 généralisation. Mais force est de constater que l’usage que les généralistes font de certains médicaments psychotropes se décale des normes de la médecine basée sur les preuves. D’autres indications s’élaborent donc, non sans « raisons », dans le contexte actuel de l...

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