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C H A P I T R E 8 MÉMOIRE DÉFAILLANTE Utilisation de médicaments et reclassification de la maladie d’Alzheimer1 Annette Leibing Université fédérale de Rio de Janeiro et Institut de gérontologie sociale du Québec Rémi Coignard-Friedman Université du Québec à Montréal Lilian Scheinkman Université fédérale de Rio de Janeiro et Université de Miami 1. LE PARADIGME DE LA MÉMOIRE La maladie d’Alzheimer est une maladie (ou un syndrome) neurodégénérative dont la manifestation principale est la dégradation de la mémoire. Nous l’invoquons en souriant lorsque nous perdons nos clefs (« c’est mon 1. Cet article est une version révisée de Leibing (sous presse). 178 LE MÉDICAMENT AU CŒUR DE LA SOCIALITÉ CONTEMPORAINE Alzheimer ») ou soupçonnons les personnes âgées étourdies de sombrer dans ce que Shakespeare a appelé une seconde enfance – la sénilité2. Dans les années 1990, « la décennie du cerveau », la maladie d’Alzheimer fut l’objet de vastes débats dans les médias. Ce fut, et cela est encore vrai dans une certaine mesure, une période d’anxiété généralisée à l’égard du « mort vivant » ou de « la perte du soi », deux expressions communément utilisées pour qualifier les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer, et ce qui est vu parfois comme l’essence de la personne : la mémoire. La cognition, en particulier la mémoire, peut être considérée comme un des plus importants vecteurs de l’individualité. La lecture cognitiviste de la maladie d’Alzheimer ne se réduit pas à la vision populaire ; elle imprime aussi les textes scientifiques. Ainsi l’influent Merck Manual of Geriatrics définit-il la démence de la même façon en 1995 qu’en 2004 : « une détérioration des fonctions intellectuelles et des autres habiletés cognitives, conduisant à un déclin des habiletés nécessaires pour mener les activités de la vie quotidienne » (italique ajouté). On ne peut dire que les symptômes non cognitifs de la démence n’aient été abordés dans les textes scientifiques, mais la centralité de la mémoire est indiscutable. Or, c’est pour la mémoire que les médicaments ont été développés, du moins jusqu’à tout récemment. Nous voudrions montrer dans cet article de quelle façon le« paradigme de la mémoire » (Berrios, 1990) se transforme lui-même et s’est mué en un paradigme plus inclusif en mettant l’accent sur les sympt ômes comportementaux et psychologiques de la démence. En ce sens, la mémoire s’efface autant dans l’idée commune de la diminution des habi2 . Lawrence Cohen (2006) définit la sénilité comme « la perception de changements comportementaux délétères chez une personne que l’on dit âgée, avec une attention portée sur les aspects biologiques et sur le milieu institutionnel dans lequel ces changements sont marqués, mesurés, étudiés et traités ». Il préfère réadopter l’ancienne notion de « sénilité » parce qu’« organiser nos conversations autour de la sénilité dans ce sens précis du mot, plutôt que d’organiser nos discussions autour de la démence, revient à ne pas présumer à l’avance de quelle façon la perception, la biologie et le milieu sont apparentés ». Cette réticence à présumer plutôt que d’utiliser les notions communes nous rend précautionneux à l’égard des termes que nous utilisons ; elle est à la base de nos conversations anthropologiques. Avec ceci en tête, nous référons à la maladie d’Alzheimer comme modèle biomédical de la sénilité. [18.118.144.69] Project MUSE (2024-04-25 21:43 GMT) MÉMOIRE DÉFAILLANTE 179 letés intellectuelles liée à la démence que comme paradigme dominant lié à la maladie, un paradigme qui, pour certains, devient de plus en plus fragile au vu de notions plus récentes3. Nous voudrions explorer un facteur à l’intérieur de la matrice plus large du changement dans la perception des symptômes démentiels : le développement de l’industrie pharmaceutique en ce qui a trait à la maladie d’Alzheimer et aux maladies qui lui sont liées. C’est la formation de catégories m...

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