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CHAPITRE 2 Identité et revendication linguistique en Pays basque français Francis Jauréguiberry Université de Pau Le présent exposé est volontairement optimiste. Il prend le contre-pied de l’opinion par trop pessimiste, mais malheureusement souvent fondée, selon laquelle l’actuel développement, partout observable en Europe, de revendications d’appartenance à des communautés locales ou régionales est assimilable au mieux à des réactions de crise doublées de nostalgies passéistes, au pire à des enfermements essentialistes mâtinés de nationalismes xénophobes . Effrayés par les excès auxquels ces revendications conduisent trop souvent, l’attitude intellectuelle et politique majoritairement adoptée rappelle à juste titre la primauté de la raison universelle et des principes démocratiques sur les passions locales. Mais, à trop combattre les croyances, l’attachement, l’émotion partagée, bref les sentiments liés à un territoire ou à des traditions en ce qu’ils peuvent représenter un danger pour la raison, on risque de n’offrir, à ceux qui vivent le plus fortement ces «bouffées de subjectivit é», d’autre issue qu’un enfermement défensif sur eux-mêmes. Un autre point de vue est pourtant défendable. Il s’inscrit dans l’espace de rupture de cette dangereuse identification entre sentiments et irrationalit é, et consiste à rappeler que la subjectivité collective ne conduit pas nécessairement à de l’enfermement dans l’irrationnel, l’essentialisme ou le fondamentalisme . Par contre, trop de confusion entre modernité et modernisme, et entre raison et rationalité instrumentale, a toute chance de provoquer cet enfermement. La volonté de rompre ce cercle vicieux constitue le fil conducteur de cet exposé. L’histoire de la plupart des Basques durant ces 200 dernières années est l’illustration même de la souffrance à laquelle ce type d’identification peut mener; ils n’ont cessé d’être écartelés entre leur appartenance communautaire , culturelle et linguistique d’un côté, et leur entrée dans la modernité de l’autre. Mieux comprendre ce phénomène aidera peut-être à mieux imaginer son dépassement. 1. LE FRANÇAIS, LANGUE-PONT VERS LA MODERNITÉ L’identité traditionnelle, c’est l’identité héritée non questionnée, une identit é transcendante par rapport à laquelle ceux qui la portent ne peuvent guère prendre du champ. Elle leur apparaît comme toujours déjà donnée:par Dieu, les traditions, les coutumes. Cette détermination est, par exemple, bien repérable au sein de la société traditionnelle basque par le nom qu’y portent les individus. Ce nom n’est pas celui de l’état civil indiquant une singularité autonome, mais celui de l’endroit où vit l’individu, marque de son appartenance à l’organisation spatiale de la communauté. La personne appartient en quelque sorte au lieu et en revêt, un peu comme un habit, les statuts et rôles qui y sont associés. Elle bénéficie en échange d’une intégration sécurisante qui lui permet de guider sa vie sans trop de tourments identitaires. La marche vers la modernité éloigne progressivement de cette détermination . Elle permet à l’individu de se situer par rapport à elle. Ceci ne veut pas dire que l’identité de l’individu moderne devienne le produit de sa pure volonté. Son identité demeure au contraire largement déterminée par son héritage socioculturel. Mais il y a désormais possibilité de prise de distance envers cette identité héritée. La modernité est, entre autres choses, la possibilit é qui est offerte à l’acteur de pouvoir se «regarder de l’extérieur» pour au moins partiellement agir sur la forme même de son identité. C’est en ce sens qu’il devient sujet, c’est-à-dire capable de percevoir et de gérer non seulement son rapport au monde, mais aussi son rapport à lui-même. Or, que découvre celui qui, dans le Pays basque du XVIIIe ou même du XIXe siècle, fait ce pas qui le conduit à relativiser l’organisation et la morale communautaire pour adopter une vision plus stratégique de la réalité? Que sa langue héritée ne lui sert à rien dans ses contacts avec la pensée universelle . Que le basque demeure la langue d’une appartenance communautaire rurale et traditionnelle. Que le français est par contre la langue de l’ouverture sur l’universel, celle des Lumières et de la Raison. Si le Basque moderne (l’individu entrant dans la...

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