In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

C H A P I T R E Du côté de chez Ernst Marie Larochelle Université Laval et CIRADE marie.larochelle@fse.ulaval.ca 7 [18.224.67.149] Project MUSE (2024-04-16 14:33 GMT) Du côté de chez Ernst 157 Mais même au point de vue des plus insignifiantes choses de la vie, nous ne sommes pas un tout matériellement constitué, identique pour tout le monde et dont chacun n’a qu’à aller prendre connaissance comme d’un cahier des charges ou d’un testament ; notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres. Même l’acte si simple que nous appelons« voir une personne que nous connaissons » est en partie un acte intellectuel . Nous remplissons l’apparence physique de l’être que nous voyons de toutes les notions que nous avons sur lui et dans l’aspect total que nous nous représentons, ces notions ont certainement la plus grande part. Elles finissent par gonfler si parfaitement les joues, par suivre en une adhérence si exacte la ligne du nez, elles se mêlent si bien de nuancer la sonorité de la voix comme si celle-ci n’était qu’une transparente enveloppe, que chaque fois que nous voyons ce visage et que nous entendons cette voix, ce sont ces notions que nous retrouvons, que nous écoutons. Marcel PROUST, 1913 Du côté de chez Swann Ces propos de Proust encapsulent d’une façon remarquable l’une des hypothèses centrales du constructivisme que promeut inlassablement depuis plus de quarante ans Ernst von Glasersfeld. En effet, selon ce dernier, le monde dont on peut raisonnablement parler est lui aussi un monde qui participe de notre activité intellectuelle, un monde configuré par les notions que nous avons sur lui, tant et si bien que lorsqu’on prétend décrire le monde en soi (le monde ontologique, diraient les philosophes), nous décrivons en fait nos expériences dans le monde, les itinéraires qui nous ont permis d’y cheminer et d’y réaliser nos projets (y compris ceux qui se sont révélés non viables, voire fatals à nos hypothèses et constructions). En somme, nous décrivons ce que l’on peut faire dans le monde et non pas, selon l’heureuse formule de Geertz (1996), le monde tel qu’il est lorsque Dieu seul le contemple ! La description ci-dessous n’échappe pas à cette contingence : elle est remplie des notions que j’ai sur le constructivisme radical et sur Ernst von Glasersfeld. Elle ne prétend donc pas épuiser les scénarios que l’on peut mobiliser pour mettre en scène l’un et l’autre. Qu’il s’agisse de la production des savoirs savants ou du développement individuel des connaissances, le constructivisme, sous sa forme radicale, propose un éclairage qui se démarque de la tradition réaliste1. Alors que, dans cette tradition, on s’intéresse à estimer si les connaissances et les savoirs que l’on produit correspondent bel et bien 1. Des parties de ce texte ont déjà paru dans Larochelle et Bednarz (1994), Revue des sciences de l’éducation, et Larochelle (1999), Cybernetics and Human Knowing. 158 Constructivisme – Choix contemporains aux « états du monde », dans la perspective constructiviste on s’intéresse plutôt à ceux et celles qui construisent ces connaissances et ces savoirs et se fabriquent ainsi une image, une théorie à propos du monde2. Autrement dit, alors que la conceptualisation réaliste postule que le savoir est un reflet (plus ou moins approximatif ou asymptotique ) de la réalité ou du monde ontologique, a knowledge « of », pour reprendre la distinction de Rorty (1990), la conceptualisation constructiviste soutient que le savoir est toujours le savoir que construit l’observateur, a knowledge « that ». C’est pourquoi ce qui retient alors l’attention sur le plan autant théorique qu’empirique, ce sont les ressources , les distinctions et les processus par lesquels un sujet performe le monde et crée, au sein de ses expériences, un ordre des choses qui concourt à lui donner l’impression d’un monde répétable, d’un monde stable, voire d’un monde « doté d’états » et indépendant de l’expérience qu’il en fait3 . S’inspirer d’une telle conception de la cognition en éducation suppose des ruptures importantes au regard des pratiques qui tendent à décliner les savoirs enseignés sous un...

Share