Épistémologie de la science politique

Chapitre 2. Les schèmes d'intelligibilité du politique

LES SCHÈMESD’INTELLIGIBILITÉ DU POLITIQUE Vincent Lemieux Université Laval Dans un ouvrageéclairant, le sociologuefrançaisJean-Michel Berthelot (1990) distingue six schèmes d’intelligibilité du social, entendu au sens large. Ce sont les schèmes causal, fonctionnel, structural, herméneutique , actanciel et dialectique. Considérant que le politique est inclus dans le social, on peut appliquer ces six schèmes à l’intelligibilité du politique, d’où le titre de ce chapitre. Nous croyons, en effet, que les schèmes de Berthelot se retrouvent dans la pratique des politologues comme dans celle des sociologues , et qu’il est intéressant de comparer ces pratiques pour situer la science politique par rapport à la sociologie. Les objets auxquels s’intéressent les politologues ne sont toutefois pas les mêmes que ceux qui retiennent l’attention des sociologues, ce qui n’est pas sans influencer la pertinence respective des différents schèmes pour les deux disciplines. Dans un premier temps, nous allons esquisser ces différences entre les objets afin d’en tenir compte dans la suite du chapitre. Dans un deuxième temps, nous allons faire une brève présentation de chacun des six schèmes, pour ensuite montrer comment ils renvoient aux principaux concepts de la systémique, considérée comme langage général de la science. Dans un troisième temps, nous allons faire un bref bilan de l’utilisation des six schèmes par les sociologues et les politologues. Ce bilan nous mènera à des interrogations sur les différences qui auront été constatées entre les deux disciplines. 60 Épistémologie de la science politique 1. Science politique et sociologie I1 est évident que le domaine de la science politique ne recouvre pas tout le domaine couvert par la sociologie.Par exemple,les politologues ne s’intéressent guère aux relations à l’intérieur de la famille et plus généralement à l’étude des groupes primaires, parce que ces groupes échappent largement à la régulation politique et sont peu susceptibles d’y participer. I1 est moins évident que des champs de la science politique ne soient pas couverts par les sociologues. On pense au champ des relations internationales. I1 y a bien telle chose qu’une sociologie des relations internationales, mais ce champ est très peu fréquenté par les sociologues. Si on distingue, dans les rapports sociaux, ceux qui sont finalisés principalement par l’appartenance, ceux qui le sont par l’appropriation et ceux qui le sont par la régulation, on peut dire que les sociologues s’intéressent davantage aux premiers qu’aux derniers, alors que c’est l’inverse chez les politologues. Cela se manifeste tout particuli èrement dans certains champs. I1 y a peu de sociologues qui s’intéressent à la régulation politique dans l’ensemble de la société, à « l’État en action », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Jobert et Muller (1987). À l’inverse, il y a peu de politologues qui s’intéressent à l’étude des réseaux sociaux dans les petites collectivités ou dans les organisations . On n’a qu’à consulter le livre récent de Degenne et Forsé (1994) pour constater ce fait. Le recours au langage systémique permet d’exprimer de façon générale ces différences entre les objets et les préoccupations de recherche propres aux deux disciplines. Dans l’optique systémique, la société est faite d’un ensemble de systèmes sociaux qui sont les environnements les uns des autres. Ces systèmes sont découpés et définis selon les intérêts des chercheurs, mais on peut toujours considérer un système, selon la conception très générale de Le Moigne (1984, p. 62) comme quelque chose, qui dans quelque chose (un environnement), pour quelque chose (une finalité, un projet), fuit quelque chose (une activité), par quelque chose (une structure, une forme stable), qui se transforme dans le temps (évolution). Parmi les systèmes sociaux,les politologues s’intéressent principalement aux systèmes politiques. Ces systèmes ont des finalités de régulation des systèmes sociaux de leur environnement spécifique. La sciencepolitique étudie ces processus de régulation mais ne s’intéresse guère aux relations entre les systèmes qui sont dans l’environnement Les schèmes d’intelligibilité du politique...