In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

CHAPITRE 8 LE CŒUR ÀSPARTE, LATÊTE À ATHÈNES OU LESDIFFICILESTRIBULATIONSDES INTELLECTUELSENTRE SOCRATE,PLATONET MARX Diane Lamoureux Université Laval En feignant de donner des leçons aux Rois il [Machiavel] en a donné de grandes aux peuples. - J.J. ROUSSEAU, Contrat social, III, VI. Peut-être Machiavel a-t-il voulu montrer aussi combien la population doit se garder de s’en remettre de son salut à un seul homme qui, s’il n’est pas vain au point de se croire capable de plaire à tous, devra constamment craindre quelque embûche et par là se trouve partout contraint de veiller surtout à son propre salut et au contraire de tendre des pièges à la population plutôt que de veiller sur elle. Et j e suis d’autant plus disposé àjuger ainsi de ce très habile auteur qu’on s’accorde à le tenir pour un partisan constant de la liberté et que, sur la façon dont il faut la conserver, il a donné des avis très salutaires. -B. SPINOZA, Traité politique, V, § 7. I1 peut paraître téméraire, surtout de la part d’une féministe, de placer une réflexion sur le sens de la philosophie politique sous le patronage de Machiavel. Cependant, lorsqu’on dépasse les conventions usuelles et les clichés concernant Machiavel, on se rend bien compte qu’il illustre certains dilemmes de la philosophie politique ; plus particuli èrement, il montre bien que celle-ci vit un tiraillement constant entre la vérité et le débat, entre la science et l’opinion, entre les dirigeants et le peuple. La figure machiavélienne souligne également la difficulté qu’il y a à concilier une recherche théorique et les usages publics que nous pouvons (mais aussi d’autres sur lesquels nous 178 Épistémologie de la science politique n'avons aucun contrôle, puisque dès le moment où une idée entre dans le domaine public, elle échappe largement à son auteur) en faire. Pour analyser certains de ces enjeux, je partirai de mon expérience d'enseignante qui doit, chaque année, initier des étudiantes et des étudiants à l'histoire de la pensée politique. À ce titre, je me trouve dans la situation de devoir expliquer aux étudiantes et aux étudiants l'utilité de ce survol beaucoup trop rapide de l'histoire de la pensée politique occidentale qui fait partie des cours obligatoires du programme de baccalauréat en science politique. Si la réponse utilitariste n'est pas toujours évidente, la réponse intellectuelle est beaucoup plus aisée à cerner. Mais même sur le plan utilitariste, on peut remarquer, depuis quelques années, un regain d'intérêt pour la philosophie. Sur le plan empirique, on voit apparaître des cafés philosophiques ou des cabinets de consultation en philosophie. De même, certains ouvrages de philosophie peuvent devenir des best-sellers comme en témoigne le succès d'ouvrages comme Le monde de Sophie ou le Petit traité des grandes vertus. De plus, on a vu une multiplication des revues de philosophie ou des encyclopédies de philosophie. Bref, dans un monde caractérisé par une réorganisation économique et sociale d'envergure et par le reflux des grandes idéologies, il y a certes une montée de l'irrationalisme , marquée par le succès des religions anciennes et nouvelles, mais il y a aussi une demande d'explication rationnelle des incertitudes du temps flou dans lequel nous vivons, demande qui, dans les années 1960 et 1970 avait largement mobilisé le champ des sciences sociales et qui, présentement, semble se tourner du côté de la philosophie. Dans les pages qui vont suivre, je voudrais me livrer à un petit plaidoyer pro domo en soutenant deux affirmations. D'abord, que dans le cadre d'une formation en science politique, l'étude de la tradition en philosophie politique peut contribuer à former des citoyennes et des citoyens. Ensuite, que cette même tradition nous aide à comprendre la nécessité de la fonction intellectuelle dans les démocraties contemporaines . Ainsi,je consacrerai la première partie de ce texte à la contribution que peut apporter l'histoire de la pensée politique occidentalepour faciliter notre orientation dans le monde actuel. La deuxième partie portera, quant à elle, sur le rôle des intellectuelles et intellectuels, sur la tendance au déni de la fonctionintellectuelle particulière aux sociétés de masse, même d...

Share