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Àpropos du mythe de Médée, princesse de Colchide en exil parmi les Grecs, Pasolini constatait que «ce pourrait être aussi bien l’histoire d’un peuple du Tiers-Monde88». En effet, Rachel Blau DuPlessis souligne que les mythopoesis par les femmes avancent fréquemment une critique anticoloniale de l’histoire, la révision de certains mythes «an attack on cultural hegemony as it is» (107). Les femmes adaptant ou réécrivant les mythes doivent ainsi surmonter l’indifférence que manifestent les textes sources vis-à-vis les considérations historiques du genre sexuel : When a woman writer chooses myth as her subject, she is faced with material that is indifferent or, more often, actively hostile to historical considerations of gender, claiming as it does universal, humanistic, natural, or even archetypal status (DuPlessis 106). Dans les romans Petroleum de Bessora et Le livre d’Emma de Marie-Célie Agnant, les vestiges de l’histoire coloniale et néocoloniale se trouvent au cœur d’une reprise féministe du mythe médéen. Or, un tel recours à l’hégémonie d’un grand récit occidental – ici d’un mythe issu de la tradition grecque – peut paraître contre-productif, surtout dans la double optique 88. Cité dans Goudot, p. 526. Chapitre 5 Médée postcoloniale : Bessora et Marie-Célie Agnant Médée protéiforme 144 postcoloniale et féministe des deux romans. Toutefois, comme le fait remarquer Marie Vautier, «le postcolonialisme n’a jamais cru au pouvoir totalisant du mythe universel» (51). En rappelant l’idée d’irradiations mythiques de Pierre Brunel, Vautier signale la pertinence des aspects «souples et provisoires» des mythes à la pensée coloniale. Ce sont en effet leurs «fragmentations et multiplicités» (Vautier 52)» qui sous-tendent les récits mythohistoriques de Bessora et d’Agnant et qui les écartent, en fait, des trames euripidiennes appropriées et contestées jusqu’ici par les auteures de notre corpus. Une lecture postcoloniale vient donc, dans ce cinquième chapitre, s’ajouter à notre mythocritique. Le postcolonialisme a fait son chemin dans l’étude des littératures francophones et comparatives depuis les années 199089 . Il serait difficile de nier que la lecture postcoloniale se base d’abord sur des paradigmes de pensée et de savoir provenant du monde anglophone alors que de récentes traductions françaises – de travaux par Homi Bhabha (Les lieux de la culture) ou par Edward Said (L’orientalisme ), par exemple, – ont eu une portée considérable. C’est de prime abord en tant que poétique, à particularités formelles et contextuelles, que nous nous intéressons au postcolonialisme, un terme entendu au-delà de sa relation binaire avec le colonialisme . Moura précise qu’une littérature peut se vouloir postcoloniale par rapport à sa situation sociopolitique et historique (donc postérieure à la colonisation) sans être pour autant postcoloniale dans son écriture (Littératures 64)90 . En revanche, un cadre 89. Voir Moura et plus récemment le dossier de l’International Journal of Francophone Studies, consacré aux études postcoloniales et co-dirigé par Hargreaves et Moura. 90. Elle serait plutôt littérature «d’imitation» coloniale et Moura donne pour exemple la littérature haïtienne du début du XIXe siècle. On pourrait aussi penser au théâtre joué en français au Canada, théâtre qui ne devient pas «québécois» (et par la suite, «acadien», «franco-ontarien», [18.222.119.148] Project MUSE (2024-04-26 12:49 GMT) Médée postcoloniale : Bessora et Marie-Célie Agnant 145 toujours colonisant peut très bien susciter une littérature postcoloniale. L’écriture des Premières nations d’Amérique en serait un exemple des plus flagrants. Dans sa contribution au récent collectif consacré à l’effet des subaltern studies inspirées par le fameux article de Gayatri Chakravorty Spivak à ce sujet, Birla Ritu a raison de préconiser une critique postcoloniale : […] attentive to present and ongoing colonial formations, to the failure of decolonization, and the uncanny reincarnations of colonial relations alongside new transnational flows of humans and capital (87). Certes, l’échec dont parle ici Ritu se trouvera au cœur du problème posé par Petroleum et le Livre d’Emma. Enfin, comme plusieurs critiques l’ont déjà montré, et comme les deux romans à l’étude viendront le confirmer, la littérature postcoloniale n’est pas nécessairement postérieure à la colonisation ou à la n...

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