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Tantôt nous suivons l’activité et les perceptions du voyageur, qui s’efforce de circonscrire la réalité en boucle fermée par une mise en ordre rationnelle et rassurante, tantôt le texte dérive vers la boucle de l’imaginaire qui investit le présent narratif au gré du flux et du reflux psychiques.87 La question du voyeurisme traverse toute l’œuvre de Robbe-Grillet. La présence du voyeur révèle que ce regard, en apparence impartial, est lui-même recherche de jouissance perverse. L’œil n’est pas seulement un œil organique, mais aussi un œil fantasmatique, dont le fonctionnement est soumis à la loi du désir. Comme nous l’avons vu, derrière le regard occupé à tout voir de Mathias, derrière l’œil réduit à un point géométrique de l’observateur anonyme, se cache un voir plus profond, un voir qui jouit. Si la démarche de ces deux voyeurs est tout à fait différente, l’objectif est le même: voir et re-voir pour jouir. Du voyeurisme sans obscénité de La Jalousie au voyeurisme sado- érotique du Voyeur, le regard franchit les bornes de l’objectivité pour s’inscrire dans le désir pervers. Les données stylistique et grammaticale montrent que le voyeurisme dans les œuvres de Robbe-Grillet témoigne avant tout de la richesse du signifiant. 7 Rimes et détection dans Le Voyeur MICHEL SIRVENT University of North Texas, Denton (États-Unis) D eux configurations majeures sous-tendent la fiction du Voyeur. L’une, souvent commentée par Robbe-Grillet, correspond à la figure du vide (Pré : 56-57). On le rappelle, tout gravite autour d’un crime sexuel vraisemblablement perpétré par le focalisateur principal, Mathias, sur une jeune fille, Jacqueline Leduc, que le suspect nº 1 persiste à dénommer Violette. Comme dans un classique roman policier, la scène du possible viol fait l’objet d’une ellipse, éventuellement d’une paralipse. La scène omise devrait se situer à la charnière de la première et de la seconde partie du livre, la fameuse page blanche nº 88. Coïncidence ou bonheur d’impression tout à fait involontaire ALAIN ROBBE-GRILLET – BALISES POUR LE XXIE SIÈCLE 146 Robbe-Grillet 11c qx 10/15/10 1:50 PM Page 146 qui, en dépit de l’auteur, n’en est pas moins effectif dans l’édition princeps chez Minuit88. La deuxième configuration est celle, bien connue, que dessine la figure du huit. De Maurice Blanchot à Bruce Morrissette89, celle-ci a fait l’objet de nombreux commentaires, de la part de Robbe-Grillet lui-même. Dans ses entretiens avec Benoît Peeters, Robbe-Grillet déclare: Le huit a un tel rôle dans le roman comme forme et visiblement, ouvertement, la forme 8 est citée à chaque instant, que des gens appellent la forme de l’infini, moi je ne suis pas sûr que ce soit tout à fait judicieux. Mais enfin, c’est deux cercles accolés. Dans le roman, il y a la bicyclette, les lunettes, cette forme se reproduit tout le temps. évidemment que la page 88, que le double 8 soit justement le manque organisateur du texte, c’est très important90. Notons qu’à l’époque de la parution du roman, le dossier de presse des années 1953-56 en témoigne, les critiques n’ont guère été nombreux à commenter la figure, encore moins à lui voir jouer un rôle aussi prépondérant91. Or, s’agissant surtout du chiffre et, parfois, du nombre, une étude fondée sur un relevé exhaustif revêt, semble-t-il, un double intérêt92. Dans la mesure où une multiplicité d’objets distincts est corrélable à partir d’un semblable dessin se pose, d’une part, le problème de la distribution des occurrences dans l’espace romanesque. Et ce que permet leur relevé systématique, c’est, d’autre part, la mise au jour d’une autre structure corrélative, sous-jacente à l’histoire93. Mais avant d’y venir en fin d’analyse, un problème plus général se présente touchant aux conditions de détectabilité d’une telle structure. Cette question tient au fait que, s’agissant d’un roman, telle variété de structure se déploie dans un écrit d’une certaine ampleur. Ainsi peut-elle compter un grand nombre d’occurrences, être portée par des...

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