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Il y a des livres dont il faut seulement goûter, d’autres qu’il faut dévorer, d’autres enfin, mais en petit nombre, qu’il faut, pour ainsi dire, mâcher et digérer. FRANCIS BACON, Essais, « Sur l’étude » Mon père a mis sa grande cape sur ses épaules en partant hier soir, mais la pluie n’avait pas encore commenc é. J’ai entendu le bruit des premières gouttes sur le toit de la bibliothèque des heures après son départ. Au début, c’était de grosses gouttes lourdes ; on aurait dit que des cailloux tombaient sur du fer-blanc. Ensuite, le rythme est devenu de plus en plus rapide, comme si quelqu’un disait :« ch-chh-chhhh-chhhhut ! » Il pleuvait encore quand les étrangers – les inquisiteurs – sont venus nous voir ce matin. Le bruit de la petite cloche à côté de la porte de devant m’a fait sursauter. Je ne suis pas censé être dans la bibliothèque sans mon père. Il ne sonnerait pas avant d’entrer, évidemment, mais allez donc dire cela à vos nerfs. Je me suis caché derrière le poteau, en haut de l’escalier, pendant que ma mère parlait avec les inquisiteurs. Il y en avait I Dans la bibliothèque de mon père LE DODÉCAÈDRE OU DOUZE CADRES À GÉOMÉTRIE VARIABLE 2 trois, mais un seul posait des questions. Il était grand, il avait l’air jeune et il parlait comme un maître d’école, prononçant toutes les syllabes des mots avec soin, comme s’il croyait que ma mère ne comprendrait pas. Ma mère bégayait et répondait de manière confuse. J’avais honte parce qu’elle ne répondait pas mieux que ça. Le grand enquêteur ne parlait pas la langue de la maison – la langue aux belles notes mélodieuses que parle mon père. Il parlait à ma mère dans sa langue à elle, une langue qui sonne comme des chiens en colère et une mauvaise toux, donc elle aurait dû faire mieux. Elle n’avait aucune excuse. Pendant que le grand homme posait des questions, les deux autres se tenaient derrière lui et essayaient de rester tranquilles . Ils n’avaient pas l’air d’aimer ça. Ils n’étaient pas aussi grands que lui, mais ils étaient plus corpulents et ils avaient un regard stupide et des nez aplatis. Ils n’arrêtaient pas de regarder partout et de toucher aux choses, mais l’homme qui posait des questions au sujet de mon père se tenait entre eux et la maison, et il n’y a pas grand-chose à voir dans l’entrée. Un des hommes a examiné de très près le baromètre sur le mur, plissant ses petits yeux comme s’il le trouvait très louche. L’autre a agité la poignée de la porte jusqu’à ce que l’homme qui posait des questions se retourne et le regarde d’un air furieux. Le grand jeune homme devait être leur capitaine. Après son interrogatoire, le capitaine a salué ma mère en portant la main à sa casquette et a regardé vers moi, en haut de l’escalier, comme s’il avait toujours su que j’étais là. J’ai tendu le cou pour voir son visage, puis j’ai repris ma place derrière le poteau. Il avait un beau visage, comme celui de [18.118.30.253] Project MUSE (2024-04-26 16:00 GMT) 3 Dans la bibliothèque de mon père Galahad dans mon livre des Légendes de la Table Ronde. Il avait l’air trop jeune pour être le capitaine des deux autres. Après leur départ, Mère est allée dans le parloir et a défait la broderie qu’elle avait faite ce matin-là. Je suis venu ici, dans la bibliothèque, pour « travailler et réfléchir », comme le faisait Père. Mère devait penser que j’étais dans ma chambre, mais elle ne monte jamais l’escalier pour vérifier. Je ne savais pas exactement ce que voulaient les étrangers, mais je n’aimais pas leur air. Ceux qui ne parlaient pas étaient étranges et rudes. Ils avaient l’air de soldats, et le capitaine posait des questions bizarres. Parfois il avait l’air de savoir où était mon père. Parfois...

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