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AVANT-PROPOS J'ai croisé l'œuvre de Jacques Poulin il y a de cela une vingtaine d'années ; elle n'a cessé, depuis, de m'apporter une joie littéraire portée par une écriture sobre et soignée, et une réflexion authentique sur le rapport entre les êtres, en particulier sur le lien amoureux. C'est animé d'un sentiment de reconnaissance et de respect que j'entreprends ici une étude sur cette oeuvre,le mot étude appelant une lecture personnelle de huit romans qui se sont imposés comme une des voix importantes du concert littéraire québécois depuis un quart de siècle. Mais dans notre choeur littéraire, cette voix, à mon avis, chante surtout en solo. À quoi tient ce sentiment d'entrer dans une œuvre qui possède un nom propre, se distinguant de la foule anonyme qui habite les rayons d'une bibliothèque ? Sans doute le caractère unique d'un être de papier est-il presque aussi impalpable que celui d'un être humain. Bien sûr, à la lecture d'une œuvre se crée une image particulière constituée de plusieurstraits : une façon de voir la vie, certaines manies, voire certains tics, une voix qui possède son timbre bien à elle. Entreprenantcette étude sur Jacques Poulin, je conviens volontiers que le nom de l'auteur ne suffit pas à dire la singularité de son univers ; trois caractéristiques dessinent sa personnalité. Tout d'abord, une façon de voir lavie. Lesromans de Jacques Poulin sondent un très petit nombre de questions essentielles : quelle influence exerce sur nous notre enfance ? comment vivre 7 AVANT-PROPOS rai croise l'reuvre de Jacques Poulin il y a de cela une vingtaine d'annees; elle n'a cesse, depuis, de m'apporter une joie litteraire portee par une ecriture sobre et soignee, et une reflexion authentique sur Ie rapport entre les etres, en particulier sur Ie lien amoureux. C'est anime d'un sentiment de reconnaissance et de respect que j'entreprends ici une etude sur cette reuvre, Ie mot etude appelant une lecture personnelle de huit romans qui se sont imposes comme une des voix importantes du concert litteraire quebecois depuis un quart de siecle. Mais dans notre chreur litteraire, cette voix, aman avis, chante surtout en solo. A quoi tient ce sentiment d'entrer dans une reuvre qui possede un nom propre, se distinguant de la foule anonyme qui habite Ies rayons d'une bibliotheque? Sans doute Ie caractece unique d'un etre de papier est-il presque aussi impalpable que celui d'un etre humain. Bien sur, ala lecture d'une reuvre se cree une image particuliece constituee de plusieurs traits: une fa<;on de voir Ia vie, certaines manies, voire certains tics, une voix qui possede son timbre bien aelle. Entreprenant cette etude sur Jacques Poulin, je conviens volontiers que Ie nom de l'auteur ne suffit pas adire Ia singularite de son univers; trois caracteristiques dessinent sa personnalite. Tout d'abord, une fa<;on de voir la vie. Les romans de Jacques Poulin sondent un tres petit nombre de questions essentielles: queUe influence exerce sur nous notre enfance ? comment vivre 7 avec l'agressivité qui existe en nous-même et chez les autres ? comment équilibrer intérieurement la partie féminine et masculine de notre être ?Enfin, cette interrogation récursive qui recueille toutes les autres : comment aimer ? Chaque roman excave plus profondément les conditions et les limites de l'âme amoureuse, avec toute la simplicité et l'authenticité qu'exigé la mise en écriture de cette recherche fondamentale. Cette œuvre prend également soin de son lecteur par la création d'un univers où sont repris non seulement des thèmes, mais aussi des images, des symboles, des personnages. Qui n'a pas été frappé chez Jacques Poulin par les récurrences, ces reprises qui engendrent ce sentiment de familiarité ?Chaque récit place d'abord, comme foyer de convergence, des hommes comme personnage central aux noms souvent similaires : Jimmy, Jack, Jim, qui dans presque tous les casveulent s'approcher d'une femme qui s'appelle Marie, Mary, Marika. En outre, lepersonnage principal est toujours un écrivain, sauf dans Jimmy, où c'est le père du jeune héros. D'innombrables autres signes obsédants parsèment les divers romans : chats, livres, sacs de couchage, jeu de tennis, tous des éléments apparemment disparates, mais essentiels au tissage de l'œuvre: «D'un livre à l'autre [...], on retrouve le même personnage avec les mêmes caractéristiques1 .» Enfin, l'œuvre de Poulin s'est donné, d'un roman à l'autre, une voix qui est la sienne propre. À quoi la reconnaît-on ? Son timbre est chaleureux, doux, ce qu'exprimé Noël, dans Le Cœur de la baleine bleue, au terme d'un long voyage intérieur : «II fallait que la route fut [sic] celle de la douceur. » (191) Ses intonations modulent la tendresse : « Besoin de tendresse », s'écrie Jimmy devant son monde d'enfance à la dérive (158). Mais, plus que tout, cette voix, dans Le Vieux Chagrin, veut porter haut et loin une utopie littéraire : '~-—' je nourrissais l'ambition naïve et démesurée de contribuer, par l'écriture, à l'avènement d'un monde 8 avec l'agressivite qui existe en nous-meme et chez les autres? comment equilibrer interieurement la partie feminine et masculine de notre etre ?Enfin, ceUe interrogation recursive qui recueille toutes les autres: comment aimer? Chaque roman excave plus profondement les conditions et les limites de l'ame amoureuse, avec toute la simplicite et l'authenticite qu'exige la mise en ecriture de ceUe recherche fondamentale. Cette oeuvre prend egalement soin de son lecteur par la creation d'un univers OU sont repris non seulement des themes, mais aussi des images, des symboles, des personnages. Qui n'a pas ete frappe chez Jacques Poulin par les recurrences, ces reprises qui engendrent ce sentiment de familiarite? Chaque recit place d'abord, comme foyer de convergence, des hommes comme personnage central aux noms souvent similaires : Jimmy, Jack, Jim, qui dans presque tous les cas veulent s'approcher d'une femme qui s'appelle Marie, Mary, Marika. En outre, Ie personnage principal est toujours un ecrivain, sauf dans Jimmy, OU c'est Ie pere du jeune heros. D'innombrables autres signes obsedants parsement les divers romans: chats, livres, sacs de couchage, jeu de tennis, tous des elements apparemment disparates, mais essentiels au tissage de l'oeuvre: «D'un livre a l'autre [... J, on retrouve Ie meme personnage avec les memes caracteristiques'. " Enfin, l'oeuvre de Poulin s'est donne, d'un roman al'autre, une voix qui est la sienne propre. A quai la reconnait-on? Son timbre est chaleureux, doux, ce qu'exprime Noel, dans Le Cceur de la baleine bleue, au terme d'un long voyage interieur: « Ii fallait que la route fut [sic] celie de la douceur. » (191) Ses intonations modulent la tendresse: «Besoin de tendresse ", s'ecrie Jimmy devant son monde d'enfance ala derive (158). Mais, plus que tout, ceUe voix, dans Le Vieux Chagrin, veut porter haut et loin une utopie litteraire : .--., je nourrissais l'ambition naive et demesuree de contribuer, par l'ecriture, a l'avenement d'un monde 8 [18.191.147.190] Project MUSE (2024-04-26 14:43 GMT) nouveau, un monde où il n'y aurait plus aucune violence, aucune guerre entre les pays, aucune querelle entre les gens, aucune concurrence ou compétition dans le travail, un monde où l'agressivité, entendue non comme l'expression d'une hostilité à l'égard d'autrui, mais plutôt comme un goût de vivre, allait être au service de l'amour. (139) «"^ Au service de l'amour ? Voilà qui est à mille lieues du « service national2» qui a embrigadé plusieurs écrivains de la Révolution tranquille. L'œuvre de Jacques Poulin est une aventure amoureuse ; dès lors, n'est-ce pas dire que la meilleure porte pour y entrer est de comprendre, pour reprendre le titre d'un poème de Gaston Miron, cette longue « marche à l'amour »? Jacques Poulin a écrit huit romans entre 1967 et 1994. La lecture que je propose icisouhaite entendre, et comprendre surtout, cette voix unique, en faisant parler ce qui paraît être son propos essentiel, formé de deux questions indissolubles : comment aimer ? par quel langage s'exprime le lien amoureux ? Tel est le questionnement qui anime cette étude ; et une question, à la condition d'être pertinente, représente une manière de déverrouiller une œuvre, surtout si celle-ci s'applique aux choses essentielles. Il a fallu longtemps à la littérature québécoise pour aborder, par delà les contraintes morales ou religieuses, le discours amoureux à partir de son centre même ;Fœuvre de Jacques Poulin touche, en ce sens, le cœur de l'« humanité », c'est-à-dire ce qui, avec la mort, scrute l'essentiel de notre existence. Notes 1. La Tournée d'automne, p. 23. Dans ce cas, c'est l'opinion d'un chroniqueur sur les livres de Jack, son ami ; il va sans dire que ce commentaire,bien que de l'ordre de la fiction, caractérisebien l'œuvre de Poulin. 2. L'expression est de Jacques Godbout. 9 nouveau, un monde OU il n'y aurait plus aucune violence, aucune guerre entre les pays, aucune querelle entre les gens, aucune concurrence ou competition dans Ie travail, un monde OU l'agressivite, entendue non comme l'expression d'une hostilite a l'egard d'autrui, mais plutot comme un gout de vivre, allait etre au service de I'amour. (139) ~ Au service de l'amour? Voila qui est a mille lieues du «service national2» qui a embrigade plusieurs ecrivains de la Revolution tranquille. L'ceuvre de Jacques Poulin est une aventure amoureuse; des lors, n'est-ce pas dire que la meilleure porte pour y entrer est de comprendre, pour reprendre Ie titre d'un poeme de Gaston Miron, cette longue « marche a l'amour}) ? Jacques Poulin a ecrit huit romans entre 1967 et 1994. La lecture que je propose ici souhaite entendre, et comprendre surtout, cette voix unique, en faisant parler ce qui parait etre son propos essentiel, forme de deux questions indissolubles : comment aimer ? par quellangage s'exprime Ie lien amoureux? Tel est Ie questionnement qui anime cette etude; et une question, a la condition d'etre pertinente, represente une maniere de deverrouiller une ceuvre, surtout si celle-ci s'applique aux choses essentielles. II a fallu longtemps a la litterature quebecoise pour aborder, par dela les contraintes morales ou religieuses, Ie discours amoureux apartir de son centre meme ; l'ceuvre de Jacques Poulin touche, en ce sens, Ie cceur de 1'« humanite », c'est-a-dire ce qui, avec la mort, scrute l'essentiel de notre existence. Notes 1. La Tournee d'automne, p. 23. Dans ce cas, c'est l'opinion d'un chroniqueur sur les livres de Jack, son ami; il va sans dire que ce commentaire, bien que de J'ordre de la fiction, mraeterise bien J'ceuvre de Poulin. 2. L'expression est de Jacques Godbout. 9 This page intentionally left blank This page intentionally left blank ...

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