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  • Monsieur le préfet. Incarner l'État dans la France du XIXe siècle by Pierre Karila-Cohen
  • Aurélien Lignereux
Pierre Karila-Cohen, Monsieur le préfet. Incarner l'État dans la France du xixe siècle, Ceyzérieu, Champ Vallon, « Époques », 2021, 368 p.

Quiconque a quelque pratique des sources du xixe siècle se rapportant de près ou de loin aux préfets–autant dire tous les dix-neuviémistes, ou presque–sourira d'aise en parcourant le maître-livre de Pierre Karila-Cohen. Pour la première fois, en effet, du moins avec ce degré d'expertise des sources et d'intelligence des situations, se trouve identifié, formulé et étayé ce que l'on pressentait de façon confuse et fragmentée, à savoir que l'administration d'un département avait alors un visage, que le préfet était un personnage public et que sa réussite dépendait de sa capacité à incarner la fonction.

Soin accordé à son apparence et à l'impression qu'il produit, attention et vigilance qu'y prête le public, renversement dans la manière d'aborder les cérémonies publiques dans un département en prenant le préfet non plus seulement pour leur organisateur mais aussi comme l'acteur principal : voici quelques-uns des traits qui caractérisent ce livre, et c'est peu dire qu'ils étaient sous-estimés, à tel point que la place des préfets s'en trouve éclairée sous un jour neuf et décisif. En effet, le propos n'est pas tant de contrebalancer l'image du premier flic d'un département, d'agent électoral d'un régime ou de bureaucrate qui se dégage des multiples travaux précédents, mais bien de livrer une clé d'intelligibilité d'ensemble. Qu'un préfet veille à bien se faire voir, à arrondir les angles par un geste amical ne procède pas du simple souci de faciliter les choses. Ces signes d'affabilité et d'écoute ne s'expliquent pas uniquement par telle ou telle personnalité ou par la situation d'énonciation. Tout le travail de P. Karila-Cohen est de dépasser ces remarques ponctuelles pour poser le souci de séduire les populations comme constitutif du métier, au point de commander les attitudes et de régir les carrières ; bref, d'innerver l'ensemble du système administratif. Mieux encore, l'auteur voit dans cet art de plaire le fondement même de l'exercice de l'autorité dans la France divisée d'un long xixe siècle. Pour pallier cette fragilité, la réponse des régimes successifs a été de miser sur la capacité de leurs représentants à faire consensus et pour cela à rallier une société clivée, en mettant au service du pouvoir central l'estime et le respect qu'un préfet inspire. On comprend tout ce qu'un tel exercice exige de composition, ce qu'il a de négociable et de réversible. [End Page 163]

Une double conviction anime cet ouvrage : d'une part, le travail d'un préfet s'appuie sur un charisme de fonction ; d'autre part, ce dernier n'est toutefois pas donné, et certainement pas donné au premier venu, mais il est à incarner ; ce charisme est ainsi à la fois institutionnel, individuel et interpersonnel. Sur de telles bases, la démonstration semblait vouée à se heurter à l'écueil de la dispersion et de l'anecdote. L'obstacle a été surmonté de façon très convaincante et souvent plaisante. Pareilles qualités tiennent beaucoup à l'usage qui a été réservé aux apports des sciences sociales, mis au service d'un traitement historien de l'autorité, respectueux de l'empirisme des sources et avec elles de la saveur du détail vécu, et de l'historicité des processus. Les références à la sociologie, à l'anthropologie ou à la science politique sont finalement en petit nombre (ici Max Weber, là Erving Goffman), mais choisies avec discernement et surtout pratiquées avec constance et exigence, loin de tout braconnage. À cet égard, c'est la notion sociologique de...

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