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  • La griffe du peintre. La valeur de l'art (1730–1820) by Charlotte Guichard, and: L'art et la race. L'Africain (tout) contre l'œil des Lumières by Anne Lafont, and: Académie Royale. A History in Portraits by Hannah Williams
  • Séverine Sofio
Charlotte Guichard, La griffe du peintre. La valeur de l'art (1730–1820), Paris, Éditions du Seuil, « L'univers historique », 2018, 368 p.
Anne Lafont, L'art et la race. L'Africain (tout) contre l'œil des Lumières, Dijon, Les Presses du réel, « Œuvres en sociétés », 2019, 476 p.
Hannah Williams, Académie Royale. A History in Portraits, Farnham-Burlington, Ashgate, 2015, 358 p.

Ces trois ouvrages récents, quoique portant sur des thèmes fort différents en apparence, nous semblent mériter d'être évoqués ensemble. Ils ont, en effet, en commun de mettre en lumière les nouvelles directions de l'histoire de l'art en France19 et peuvent être, de ce fait, le support d'une réflexion plus générale sur la pratique contemporaine de cette discipline dans la foulée de la discussion ouverte il y a peu avec le foisonnant numéro du Mouvement social sur les « écritures alternatives » de l'histoire. Parallèlement au mouvement que connaît la discipline historique sous l'impact de « transformations majeures du contexte et des formes20 », l'histoire de l'art connaît, elle aussi, d'importantes évolutions sur tous les plans – résultat d'une mue entamée au début des années 2000 et dont on commence à voir aujourd'hui les résultats. Nous reviendrons ainsi successivement, dans un premier temps, sur chacun de ces trois ouvrages – dont il faut ici annoncer qu'ils portent sur le « long XVIIIe siècle », ce qui nous poussera un peu hors des frontières chronologiques [End Page 224] habituelles de la revue21. Puis, nous évoquerons deux ensembles de questions qui traversent ces trois livres : le premier touche au renouvellement méthodologique de l'histoire de l'art ; le second à la place spécifique qu'y occupent les œuvres.

La griffe du peintre : historiciser le processus de valorisation des tableaux

La griffe du peintre de Charlotte Guichard, paru en 2018, revient sur le processus qui, tout au long du XVIIIe siècle, met la signature au centre d'une nouvelle appréhension de l'œuvre et du travail artistique. Dans la signature, à la fois trace et performance, « se nouent les fonctions de marque de qualité et d'authenticité » : dès les premières décennies du XIXe siècle, il est acquis désormais que c'est là que « se constitue l'aura du tableau » (p. 13). Un tel sujet aurait pu amener C. Guichard à proposer un « grand récit de la signature » ponctué de noms fameux. Elle choisit plutôt de mettre en lumière « une écologie de la signature, attentive aux décrochages et aux singularités » (p. 30), à travers une approche matérielle de la signature qui lui permet de se défaire autant d'une approche sacralisante de l'art (l'art comme magie, fétiche, etc.) que d'une vision sémiologique des œuvres.

À travers cette histoire sociale, esthétique et culturelle de la signature, on aborde donc une histoire élargie des arts – de la question de la reproduction imprimée et de la législation sur la propriété artistique, à l'essor d'un marché secondaire où la signature (ou, à défaut, l'attribution) des œuvres est le support de nouvelles spéculations, en passant par l'émergence d'un nouveau domaine d'expertise parmi les amateurs d'art, autour de l'identification des « monogrammes » de peintres.

De fait, du côté des artistes, la signature est une pratique relativement récente. Avant le XVIIIe siècle, signer une œuvre est inutile puisqu'une peinture se conçoit d'abord comme l'ornement pérenne d'un lieu spécifique (fresques, tableaux d'église…). C'est avec le tableau de chevalet que la pratique de la signature se développe, en lien avec l'exposition publique des tableaux ou la...

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