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  • Essai de Poétique historique du roman au dix-huitième siècle by Jan Herman
  • Nathalie Kremer (bio)
Essai de Poétique historique du roman au dix-huitième siècle par Jan Herman Peeters, 2020. xiv+ 781p. €79. ISBN 978-9042942066.

Le livre de Jan Herman, fruit de plus de trente années de recherches et d'enseignement dans le domaine de la littérature française, combine un savoir inégalable sur la production romanesque et le discours critique et théorique de l'âge classique avec de patientes enquêtes et des réflexions tenaces sur la légitimité du genre fictionnel.

Ce genre qu'on appelle « roman » et qui tend à se répandre de façon spectaculaire au cours du XVIIIe siècle malgré les critiques sévères qu'il affronte consiste, à y regarder de près, en un ensemble hétérogène de formes narratives (dominé par le roman-mémoires et le roman par lettres) qui néanmoins se réclament toutes d'un « code poétique » dont Herman propose l'analyse. Il ne s'agit pas pour le chercheur d'élaborer une théorie des règles et des principes de la littérature romanesque tels qu'ils sont édictés dans divers traités ou écrits sur le roman—de tels textes critiques existent mais sans s'imposer vraiment à l'ère où seules les poésies dramatique et épique légifèrent encore sur le plan théorique—mais d'étudier les conventions de la prose narrative telles qu'elles s'établissent à travers des codes ou protocoles narratifs à l'œuvre dans la pratique fictionnelle même. « L'objet de cet ouvrage », écrit Herman, « est d'étudier dans quelles circonstances et par quels moyens un ensemble de formules narratives novatrices—le plus souvent écrites à la première personne—s'institue peu à peu comme un genre » (viii). Au-delà de l'hétérogénéité de ses formes, l'écriture romanesque s'impose comme une pratique foncièrement autoréflexive, intégrant son propre commentaire et réfléchissant sur elle-même, pour livrer ainsi les clés de lecture de son « code poétique ».

Dans ses travaux antérieurs, le spécialiste du roman du XVIIIe siècle avait surtout étudié la question de la légitimation du genre dans son rapport avec les instances critiques et théoriques de la littérature de l'époque, dans le sillage des travaux de Georges May (Le Dilemme du roman, 1963) notamment. L'Essai de Poétique historique du roman au dixhuitième siècle examine pour sa part le mécanisme de fonctionnement même de la fiction romanesque dans son rapport non pas à la critique, encore largement hostile au genre, mais au lectorat: à ce public avide de fiction narrative qui, loin de la condamner, la consomme et la réclame.

Pour « plaire » au public—pour se légitimer en se faisant agréer par celui-ci—le roman se moule sur la doxa contemporaine, c'està-dire sur les préjugés, les opinions et les croyances plus ou moins [End Page 117] implicites du public, sources des attentes et désirs inconscients de celui-ci, pour les confirmer ou au contraire les brusquer. Le « code poétique » qui s'élabore dans la pratique romanesque n'est autre qu'une « négociation » perpétuelle entre la fiction et la doxa qui s'élabore d'une façon conventionnelle, c'est-à-dire rituelle, en suivant un protocole reconnaissable. Le protocole poétique—dont le topos du manuscrit trouvé est emblématique—est ainsi une convention littéraire qui assure la reconnaissance de la fiction par le public, et par là son fonctionnement même: pour lire une fiction, il faut bien d'abord accepter d'y entrer, et de jouer son jeu. Le livre de Herman entend reconstituer les conditions, les termes et les enjeux de cette convention littéraire que le roman négocie avec le public.

Il montre ainsi comment le XVIIIe siècle forme le terrain de jeu privilégié de l'élaboration de la fiction romanesque comme négociation avec...

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