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  • Les Français de la Belle Époque by Antoine Prost
  • (traduction de Cécile)
Antoine Prost, Les Français de la Belle Époque, Paris, Gallimard, 2019, 384 p.

Comme l'annonce son titre, l'ouvrage d'Antoine Prost propose un portrait de groupe des Français de la Belle Époque, cet âge d'or de paix et de prospérité auquel le cataclysme de la Grande Guerre mit un terme. Ce ne sont pas les idées et la vie culturelle de la période qui retiennent l'attention d'A. Prost, dont le projet n'est pas de revenir sur l'invention de l'intellectuel ou sur les origines de la modernité, mais bien d'offrir un instantané de la vie quotidienne des Français. Pour ce faire, il centre son étude sur différents groupes sociaux (paysannerie, monde ouvrier, élites) en s'appuyant sur une grande diversité de sources : archives patrimoniales et successorales, budgets familiaux, documents fiscaux, mais aussi extraits de mémoires et de romans qui viennent apporter un peu de chair aux données statistiques. La méthode lui permet non seulement de reconstituer les hiérarchies qui structuraient autrefois la vie sociale, mais aussi de nous faire toucher du doigt la réalité du quotidien dans ses moindres détails. Comment les gens se logeaient-ils ? Comment se nourrissaient-ils ? Quels vêtements portaient-ils ? Telles sont les questions auxquelles l'auteur s'attache à répondre, et il le fait avec le regard à la fois aiguisé et bienveillant d'un excellent historien.

Il en ressort que la Belle Époque ne fut pas si belle que cela. Antoine Prost brosse à grands traits la vie des élites, et complète le tableau à coups de citations de Proust, mais l'essentiel de son propos est consacré au peuple–vaste catégorie dans laquelle il range les gens de la campagne, les ouvriers et les citadins de toutes conditions, à l'exclusion d'un gratin de nantis. Or, pour les classes populaires, la vie est rude. L'espérance de vie est de 52 ans pour les femmes, 48 pour les hommes. Quand on entre à l'hôpital, c'est moins pour y guérir que pour y mourir. Les ouvriers font des journées de dix heures et le labeur est épuisant. À partir de la quarantaine, la force de travail d'un homme commence à décliner et ses revenus suivent la même trajectoire, le condamnant, s'il vit assez longtemps, à vieillir dans l'indigence. Dans ces circonstances, le mariage n'est pas une simple affaire de sentiments ; il s'agit de former une équipe capable de surmonter les aléas qui menacent la survie matérielle, or ceux-ci ne manquent pas, du chômage saisonnier aux accouchements difficiles en passant par des maladies comme la tuberculose. Les mauvaises conditions d'hygiène n'arrangent rien. Les gens vivent dans des logements collectifs aux installations sanitaires rudimentaires. C'est encore le règne des cabinets extérieurs.

Par endroits, A. Prost apporte une touche de lumière à sa description. Petit à petit, les conditions de vie s'améliorent–les premières années du XXe siècle furent après tout une période de croissance économique. Les paysans peuvent s'offrir des vêtements du dimanche. La viande fait son entrée dans l'alimentation quotidienne. [End Page 153] Malgré la prégnance des hiérarchies traditionnelles, il est possible d'espérer gravir les échelons de la société. Créer une petite entreprise n'exige pas un gros capital. Les petites exploitations agricoles se multiplient, fondées sur le dur travail et l'économie de paysans déterminés à s'élever. L'école républicaine ouvre aussi des perspectives d'ascension sociale par l'éducation, et le système électoral offre une petite chance à des jeunes gens issus de milieux populaires de se faire un nom. Mais, tout bien considéré, A. Prost n'est pas certain que ces lueurs de progrès social aient été très significatives. Dans la France de la Belle Époque, souligne-t-il à plusieurs reprises, la classe moyenne n'occupe encore qu'une place très...

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