In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • PostfaceCouper court au soupçon, se libérer d’un paradoxe
  • Lydie Moudileno (bio)

L’invisibilité de la littérature de jeunesse dans la critique francophone constitue, sinon un mystère, en tout cas un paradoxe. Depuis la fin du siècle dernier, un corpus considérable de romans, nouvelles et autres récits pour jeune public écrits par des auteurs africains et antillais n’a cessé de s’amplifier, lentement mais sûrement au fil des décennies, rivalisant désormais par son dynamisme, son ampleur et son originalité avec les sphères plus traditionnelles de la littérature francophone. Et pourtant, il faut aujourd’hui encore regretter que la critique dite savante continue d’en ignorer la pertinence.

Jamais la littérature francophone n’a été aussi visible: les années quatre-vingtdix ont été marquées par un essor remarquable des écrits et des auteurs d’Afrique et des Antilles, qui affirment véritablement leur présence sur le marché littéraire global au tournant du siècle, ceci à la faveur d’une convergence de phénomènes, dont les nouvelles politiques éditoriales faisant plus systématiquement place aux auteurs postcoloniaux, un renouveau d’intérêt de la part des critiques et des médias, la multiplication des modalités de consécration, sans oublier l’émergence de nouvelles générations d’auteurs venant s’ajouter aux précédentes, élargissant du même coup la diversité du lectorat (Ducournau 34–49).

Il faut évidemment se réjouir de cette nouvelle visibilité. Il faut aussi continuer d’interroger les mécanismes par lesquels un nouveau canon francophone (français et transnational) s’élabore, se reproduit et se cristallise dans les contours d’un corpus limité à la représentation des cultures postcoloniales aujourd’hui. En d’autres termes, tout en reconnaissant les progrès indéniables de la visibilité du champ littéraire francophone, il convient d’en examiner les lieux invisibles.1 De La République mondiale des Lettres de Pascale Casanova (1999), au Postcolonial Exotic de Graham Huggan (1992), en passant par les études de Sarah Brouillette (44–75) sur le marché transnational du livre postcolonial, ou encore par les travaux de James English ou de Sylvie Ducas sur les prix littéraires, les études sont désormais nombreuses à avoir attiré l’attention sur les modalités de production de l’objet littéraire francophone dans l’économie globale, en pointant notamment les inégalités dans l’acquisition [End Page 129] du “capital littéraire” en fonction des sphères culturelles, des auteurs ou des genres concernés.

On notera cependant que, si ces travaux exposent bien les diverses hiérarchies qui régissent le rapport du texte francophone à ses différents centres de validation (français et parisien), la question des productions dites populaires n’intègre que rarement les discussions. Il faut le constater: la “paralittérature francophone”—entendue ici de manière exhaustive comme un ensemble hétérogène et transnational englobant une diversité de genres dont le roman sentimental, le roman policier ou d’espionnage, le roman-photo, la bande dessinée et la littérature enfantine ou pour jeunes adultes—est devenue une des marges invisibles produites dialectiquement par l’institutionnalisation des littératures francophones au vingtième siècle. Certes, le lot de toute paralittérature, comme son nom l’indique, est d’évoluer à la périphérie des genres, des textes et des auteurs canoniques: en ce sens il faut reconnaître que la littérature de jeunesse n’est pas plus marginalisée dans le contexte francophone que dans d’autres contextes comme celui, par exemple, de la littérature française ou de toute autre littérature nationale. On le sait, la formation du canon littéraire repose sur des processus d’inclusion et d’exclusion obéissant à un ensemble de facteurs culturels, politiques et esthétiques propres à chaque contexte. Le champ littéraire francophone n’échappe pas à cette règle, par laquelle les productions dites populaires restent, comme dans d’autres traditions, sur la touche de l’historiographie littéraire.2 On ne s’étonnera donc pas de la marginalité des...

pdf