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  • Frontières de sable, frontières de papier. Histoire de territoires et de frontières, du jihad de Sokoto à la colonisation française du Niger, XIX-XXe siècles by Camille Lefebvre
  • William F. S. Miles
    Translated by Loïc Windels
Camille LEFEBVRE, Frontières de sable, frontières de papier. Histoire de territoires et de frontières, du jihad de Sokoto à la colonisation française du Niger, XIX-XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, « Bibliothèque historique des pays d'Islam », 2015, 544 p.

À mi-parcours de son analyse magistrale de l'évolution des frontières du Niger, Camille Lefebvre donne, presque en passant, un exemple effrayant du caractère sommaire de la « justice » coloniale, telle qu'elle fut infligée à un guide touareg nommé Khelil. En août 1899, une mission militaire française se fraye un chemin à travers le Sahara nigérien, sous le double commandement de Fernand Foureau et d'Amédée-François Lamy. Agadez constitue l'étape de mi-parcours de cette expédition punitive commencée en Algérie et qui se terminera à Brazzaville. Le guide Khelil est alors soupçonné de conduire délibérément l'expédition à rebours vers Agadez au nord plutôt que de la diriger vers Zinder au sud–ce qui constituerait un acte de subversion aux conséquences potentiellement mortelles dans ce désert aride. Les commandants français mettent donc Khelil aux arrêts et ils envoient une patrouille capturer des Touaregs au hasard. Ils font trois prisonniers qui sont ligotés et menacés jusqu'à ce qu'ils acceptent de servir de guides de substitution. Aussitôt après avoir acquiescé sous la contrainte, les trois Touaregs assistent à l'exécution par les armes de leur compatriote Khelil. Trente ans plus tard, Émile Reibell, un officier membre de l'expédition, promu depuis général, publie un récit de « l'incident » qui laisse entendre que Khelil pourrait tout simplement avoir perdu son orientation, sans aucune volonté de félonie. Ce que C. Lefebvre veut plus précisément souligner dans ce passage, c'est le mépris colonial pour les méthodes traditionnelles de navigation dans le désert (en l'occurrence, préférer la ligne droite à des façons de voyager plus malignes). Mais, plus largement, elle souligne ici les enjeux majeurs, parfois au prix de vies humaines, de cent cinquante ans de tentatives françaises pour définir, délimiter, façonner et contrôler les territoires et les populations qui constitueront la République du Niger.

L'argument principal du livre–valable au-delà du cas particulier du Niger–est que « l'artificialité » souvent décriée des frontières de la République, héritées de l'ère coloniale, est elle-même une construction artificielle ou, pour être plus précis, une idée essentialiste. Vers la seconde moitié de l'époque coloniale, les critiques locales [End Page 193] du projet impérialiste (critiques elles-mêmes fortement influencées par les sciences sociales occidentales) ont dénoncé la fragmentation ethnique et le non-respect des caractéristiques « naturelles » du paysage comme résultant de la partition coloniale. Mais même cette critique prétendument éclairée reflète davantage une compréhension cartésienne binaire de la différenciation ethnique et des délimitations topographiques qu'elle ne reflète la réalité africaine de la symbiose entre monde pastoral et monde paysan et de la circulation transsaharienne. Ce livre n'est donc en rien un n-ième discours sur le caractère artificiel des frontières, et ses propositions permettent une meilleure appréciation de plusieurs aspects de la question, à savoir de l'évolution des frontières et de la souveraineté de l'Afrique de l'Ouest avant la colonisation ; des dynamiques autochtones ayant influencé le tracé et la correction des frontières coloniales intra- et internationales–dynamiques sociales, politiques et économiques ; du contexte régional africain, dans la mesure où sa transformation a modifié la signification des frontières héritées de l'ère coloniale, même lorsque les dirigeants de l'apr...

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